C’est sous la forme d’un recueil que l’auteur Yu TAKITA arrive en France en 2006. Publié dans le magazine alternatif Garo, ce mangaka est connu pour ses récits d’enfance, mais assez peu pour l’humour et la caricature.
Dès son plus jeune âge, l’auteur est passionné de Rakugo. Rapidement il se tourne vers le dessin et créé des affiches pour son lycée. Ce n’est qu’en 1951, après l’abandon de ses études, qu’il devient assistant du renommé Tagawa SUIHÔ auteur de Norakuro, le célèbre chien noir et blanc, soldat de l'armée japonaise impériale. Après s’être lancé dans quelques séries, ce n’est qu’en 1967 qu’il dessinera, pour le magazine alternatif Garo, les histoires présentes dans ce recueil. Sa référence étant le mangaka Yoshiharu TSUGE, TAKIYA s’orientera ainsi vers « le manga du moi », le manga autobiographique.
À travers 14 histoires aux thèmes et styles variés nous découvrirons le talent de TAKIYA. Elles peuvent se classer en trois genres : les souvenirs d’enfance, la parodie à l’époque féodale et la critique sociale moderne, le tout sous couvert d’humour et de légèreté.
Le premier genre correspond aux travaux les plus connus de l’auteur. Restituant ses souvenirs d’enfance du Japon des années 40, époque à laquelle sa famille était gérante d’un estaminet, TAKIYA retrace, sous forme de péripéties anodines et de quotidien classique, ses mémoires d’un autre temps. Les planches fourmillent de détails et de situations cocasses. Le mangaka réussit à nous transporter dans un Japon aujourd’hui disparu. Le plus grand plaisir de cette partie est d’observer au travers d’objets, d’habitudes ou de métiers disparus, un instantané de cette époque. Le style plaira à tout amateur de récits à vocations historiques ou patrimoniales. D’ailleurs le recueil Chaud, chaud les petits pains et autres ragots du quartier édité chez Picquier Éditions comporte six nouvelles histoires qui représentent ce thème.
Lors de ses débuts dans le magazine alternatif Garo, TAKIYA s’essaye à des nouveaux styles, notamment sur des récits courts et caricaturaux. Dans ses essais il s’amusera à parodier la vie des bushis à l’époque féodale. Ces derniers subiront les dérives de leur époque, comme par exemple : céder leurs femmes à leur seigneur, aller en mission secrète ou tout simplement se faire hara-kiri pour le plaisir du maître !
L’auteur tourne en ridicule les situations et les personnages qui prennent leur mal en patience faute de pouvoir agir. Ces histoires courtes et parodiques sont pleines de dérision et montrent l’absurdité du système de l’époque. Système subtilement pointé du doigt et constitué de classes, d’honneur et de loyauté. L’humour fait mouche avec une chute réussie pour peu que l’on soit bon public. C’est une bonne surprise de voir des japonais parodiant leur propre histoire.
Le dernier genre se rapproche de notre époque avec une satire sociale des années 70. Cette partie est la plus intéressante, l’auteur passe au crible plusieurs pans de la société et ses dérives.
L’univers carcéral a droit à deux histoires aux enjeux opposés. Deux prisonniers sont condamnés à mort, le premier fait tout pour rester vivant et cherche à retarder son exécution. Le second, quant à lui, veut l’accélérer mais il est confronté aux lenteurs de l’administration et il sera même libéré en attendant le jour J.
Racontant les idées noires de ces prisonniers avec une pincée d’humour noir, TAKITA joue avec leurs angoisses dans l’attente du moment fatidique. Via ces récits, l’auteur réussit à mettre en évidence la déshumanisation des condamnés par le système, le personnel bafoue le respect des prisonniers. Une fois le verdict fixé ils n’existent plus aux yeux de la société, ils sont de simples numéros rayés de la communauté. Rappelons que la sanction par la peine de mort reste toujours d’actualité au Japon.
Le mangaka finira sur des histoires variées avec l’histoire d’un salaryman qui se retrouve seul dans sa ville déserte, des manifestations étudiantes et de leurs revendications, ou encore de la curiosité maladive des gens, avant de conclure sur une histoire à l’ambiance de comédie musicale basée sur le gag de répétition.
Comme vous l’aurez compris, TAKIYA critique tout en douceur et avec humour la société, qu’elle soit moderne ou féodale et réussit à atteindre son objectif. Couplé à la restitution de ses souvenirs d’enfance, l’auteur nous offre de quoi nous divertir avec des histoires généreuses, surprenantes aux nombreux gags visuels qui prêtent à sourire.
Pour accentuer cet humour, les bulles des protagonistes sont régulièrement remplacées par des pictogrammes représentant leurs pensées. Le tout est accompagné d’un trait qui se veut humoristique et simple. Les personnages sont totalement déformés avec des têtes en forme de pastèque dont les orbites sont placées bien trop haut. Cela renforce l’idée de décalage avec les thèmes abordés. Ce style fonctionne bien mais le dessin se veut plus proche de l’expérimentation que du réalisme et de ce fait il rebutera bon nombre de personne. Les décors sont travaillés dans la partie des souvenirs d’enfance, alors que les histoires comiques abordent des décors plats accompagnés de nombreux fonds blancs.
Les éditions du Seuil ont publiés ce titre dans un grand format (env.16x22cm). Le format est singulier avec ses bords ronds et sa couverture trouée faisant ainsi apparaitre l’image de la première page. L’édition est d’excellente qualité avec un papier blanc épais et une très bonne impression munie d’une traduction qui semble soignée. Coté éditorial c’est le strict minimum, aucun dossier complémentaire, explication inexistante et traductions minimales. Pour une oeuvre ayant de nombreuses références culturelles c’est regrettable.
Conclusion :
Par cette compilation Yu TAKITA réussi à nous surprendre par son humour et sa légèreté, tout en abordant des thèmes importants. Toutefois le dessin simpliste, voire expérimental et les histoires datant des années 70 risquent d’intéresser uniquement ceux qui recherchent des oeuvres patrimoniales.