Les toutes premières histoires de la saga Lucky Luke nous ont gratifié d'une panoplie de méchants de seconde main. Les récits, à la fois trop courts et dont les gags faisaient plutôt rire les grands enfants, pouvaient paraitre par certains aspects sous-exploités ; tout du moins, ne pouvaient rendre les desperados marquants.
Pat Poker est le premier de la saga que l'on retient de part la longueur de son traitement mais surtout son charisme et son vice. Viennent juste après des desperados encore plus coriaces et légendaires : les vrais frères Dalton à savoir Bob, Grat, Bill et Emmett.
Sans spoiler, on sait assez vite dans l'album que ces 4 frangins décéderont - le 5 octobre 1892 à Coffeyville (Kansas). La réalité historique est un peu autre : ils n'ont pas opéré ensemble, seuls Bob et Gratt ont trouvé la mort ce jour là et surtout, ils n'ont pas un écart de taille aussi marqué !
L'important de cet album n'est cependant pas là : il met en scène, sous forme de prélude finalement, le début d'un groupe de bandits qui marquera la saga Lucky Luke et plus globalement la bande dessinée à tout jamais.
Pour revenir aux qualités intrinsèques de cet épisode, plusieurs éléments sont à relever :
-> en planche 1 on note que plusieurs affiches Wanted de desperados apparaissent dont : Billy the Kid, Calamity Jane et Jesse James. Ce sont exactement eux que les auteurs développeront le plus et le mieux, avec les frères Dalton, sur des albums parfois postérieurs de plusieurs décennies.
Toujours sur cette planche, les deux frères qui interviennent sont Bob et Emett, plus tard Joe et Averell, les deux frères qui seront les plus développés et riches, l'un profondément méchant, l'autre constamment affamé, tout deux magnifiquement bêtes. Les personnages établis par Morris garderont toute leur cohérence sous Goscinny.
L'introduction de 5 pages qui présente la fratrie Dalton (ou Lucky Luke n'apparait pas) est sublime. Billy the Kid, Calamity Jane et Jesse James connaitront des introductions ou présentations isolées du même niveau.
-> L'album fait la part belle à l'action et l'humour comme toujours mais devient plus sérieux dans le propos et le traitement des personnages est permis par le plus grand nombre de pages octroyé. Les péripéties sont datées précisément, ce que les auteurs omettront par la suite car trop bloquant. Lucky Luke gardera dans son ensemble une cohérence historique sur les avancées technologiques, les moeurs de la période traitée (1870-1890) mais ne seront plus aussi précis que dans cet album.
-> une histoire numéro 2 sous forme de postlude mettant en scène un shériff mythomane vu dans Rodeo dont la construction et la destruction de son récit sur la capture des vrais Dalton est un petit bijou de ce que la BD permet (déjà en 1951) : mettre aisément en récit des fantasmes qui paraissent bien réels.
A noter quelques ombres au tableau : en planche 17, un cuisinier asiatique sera nommé "face de citron" par Bob, posant (avant d'autres albums comme En remontant le Mississippi, Le 20ème de cavalerie ou Canyon Apache) la question de l'acceptation de ces propos au regard du contexte historique de l'écriture de l'album ou du contexte far west.
Aussi la chirurgie faciale des planches 28 à 30 est à la fois facile et assez inutile/peu drôle. Une pirouette scénaristique tirée par les cheveux pour peu d'apport au final.
Les scénarios ne sont pas encore maestros mais les bases sont plus que jamais consolidées et améliorées. Bonne pioche, René, d'avoir cru au potentiel de ces personnages pour la suite !