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Critique initialement publiée sur mon blog : http://nebalestuncon.over-blog.com/2019/01/je-suis-shingo-vol.4-de-kazuo-umezu.html


Avec pour le coup un peu de retard sur la parution, je reviens sur la série Je suis Shingo d’Umezu Kazuo, avec un tome 4 (sur six)… aussi déconcertant que ses prédécesseurs, mais que je ne suis pas bien certain d’avoir autant aimé, pour le coup – en tout cas, l’auteur y a pété un câble, ou, disons, plus exactement, un de plus. Comme d’hab’, le risque de SPOILERS est non négligeable, alors méfiance…


Le tome 3 (en fait avec un petit prologue tout à la fin du tome 2) avait fait basculer la série dans l’horreur – le genre de prédilection de l’auteur – en même temps que la dimension proprement science-fictive devenait toujours plus frontale. La relative naïveté du premier tome, où la SF perçait à l’horizon mais guère plus, et le poignant quasi-shinjû du tome 2, paraissent désormais bien loin.


Impression renforcée par le changement des protagonistes principaux : depuis, Marine et Satoru n’ont guère été qu’entraperçus ici ou là, davantage d’ailleurs la petite fille, « exilée » en Angleterre, que son amoureux. L’essentiel de ce tome 4 poursuit dans cette voie, en introduisant de nouveaux personnages qui, dans leur confrontation au robot Shingo, ne lui volent certes pas la vedette, mais n’en occupent pas moins le premier plan, comme antagonistes le cas échéant, tout au long du volume. Cependant, Marine se voit accorder un certain nombre de pages, bien plus que dans le tome 3… et à vrai dire probablement les plus problématiques de ce tome 4.


On peut en gros scinder ce volume en trois arcs. Le premier, qui se tient relativement tout seul, reprend les choses là où le tome 3 s’était (brutalement et douloureusement) arrêté, quand les enfants entendaient protéger le robot Shingo contre ses concepteurs qui le traquaient, entreprise généreuse qui débouchait pourtant sur l’horreur pure – avec un robot qui ne comprenait pas bien ce qui se passait autour de lui, et commettait dès lors le pire sans s’en rendre compte. Shingo, quoi qu’il en soit, a trouvé refuge dans un immeuble en cours de démolition – mais il est toujours obsédé par le désir de retrouver ses parents Marine et Satoru. Pour ce faire, une prise électrique de bon aloi lui permet de communiquer avec l’extérieur, même sans bien comprendre à qui il s’adresse et ce qu’il peut en attendre : par chance (?), il éveille ainsi la curiosité d’un nouveau petit génie de l’informatique, après Satoru – un autre petit garçon, passionné par les possibilités ouvertes par le hacking aussi bien que par les jeux vidéo, et qui, dans son rapport avec le robot, croit en fait jouer à un jeu d’un nouveau type, en même temps qu’il comprend que des tiers (les concepteurs de Shingo, mais lui n’en sait rien) surveillent ses actions et pourraient prendre le contrôle de son ordinateur en cas de boulette… Si le tome 3, dans ses derniers chapitres, me faisait immanquablement penser à une version gore d’E.T., l’extraterrestre de Steven Spielberg, ici nous louchons clairement sur le Wargames de John Badham, là encore tout récent (le film est sorti en 1983, et ces épisodes datent de 1984-1985). Cependant, quand il s’agira pour le petit garçon de se rendre dans l’immeuble, au secours de Shingo, l’ambiance changera du tout au tout, et reviendra à l’horreur – mais une horreur qui a désormais quelque chose de charnel en même temps que d’hallucinatoire, pas seulement froid et/ou technologique ; Shingo semble (?) susciter des images folles issues des pires cauchemars… Sans que je comprenne très bien ce qui se produit au juste. Ceci étant, tout cela fonctionne bien, dans la lignée des tomes précédents.


C’est ensuite que ça se corse… La seconde moitié du volume est en effet occupée par deux arcs plus ou moins parallèles, et qui nous éloignent cette fois du Japon. Nous avons tout d’abord plusieurs chapitres qui se déroulent dans un bateau à destination de l’Angleterre, où la présence de Shingo suscite des scènes cauchemardesques qui renchérissent sur l’horreur hallucinée du début du tome, avec moult atrocités éventuellement très visuelles, accompagnées d’ailleurs d'images proprement psychédéliques à la manière du pire bad trip de votre existence. Parce qu’Umezu est un maître de l’horreur, cela fonctionne plutôt bien, mais je n’ai pas été totalement convaincu, cette fois : on a quand même vraiment le sentiment d’un arc de transition avec scènes et personnages jetables, dans un récit qui pourrait éventuellement être lu indépendamment et se montrer assez satisfaisant de la sorte, comme une nouvelle en forme de condensé d’horreur en huis-clos (à la The Thing, ou peut-être plus encore Alien, en même temps – le film de Carpenter date de 1982, celui de Ridley Scott de 1979), mais qui m’a paru ici un peu trop redondant, même avec des apports relatifs hallucinatoires voire « body horror », et à vrai dire bien trop dilatoire par ailleurs.


Mais, surtout, il y a le problème de l’arc « parallèle »… Nous sommes cette fois en Angleterre, plus ou moins autour de Marine, et Umezu Kazuo se lance dans une sorte de délire paranoïaque sur le sentiment anti-japonais, dont je n’ose déterminer s’il doit être pris au premier degré, au second degré, ou au trente-septième post-post-méta-degré. Et pour le coup on est là aussi tenté de faire péter les références filmiques, du genre cette fois Les Guerriers de la Nuit (1979), voire tout bonnement, avec une carte post-apo plus franche, le premier Mad Max (1979 aussi) et peut-être même le second (1981), sans même parler de tous les nanars, italiens notamment, qui ont voulu surfer sur cette vague à la même époque. Quoi qu’il en soit, les Anglais n’aiment vraiment pas les Japonais, un thème qui avait été vaguement introduit dès le tome 3, mais qui prend ici des proportions tout autres ; des furies à moto sèment le chaos dans les rues, et traquent, agressent, torturent et tuent les Japonais qui leur tombent sous la main gantée de cuir clouté ! Au fil de scènes un tantinet nauséabondes qui évoquent plus qu’à leur tour la nuit de cristal… Difficile de prendre tout ça au sérieux – d’autant qu’Umezu en rajoute une couche sur le rapport des Japonais à la technologie et aux machines. Forcément. Ce connard de Robin, qui compte bien se farcir la petite Marine (…), répète le même gag un peu navrant à plusieurs reprises, où il s’étonne de ce que tel ou tel objet de la technologie de pointe japonaise (une télévision, par exemple) connaisse des ratés : si c’est japonais, ça ne peut pas ne pas marcher ! Ce qui est vaguement drôle une ou deux fois devient pénible à la cinquième ou sixième itération… Mais, en même temps, les Japonais entretiennent des liens bizarres et contre-nature avec les machines, c’est notoire – et une des raisons majeures à la furie post-apocalyptique anti-japonaise qui s’empare des rues anglaises… Marine en fait bientôt la démonstration, qui « parle aux machines », frigo comme poupée qui dit forcément « Maman », sans bien appréhender que c’est son « fils » Shingo, dont elle ne se souvient plus, pas plus que de Satoru, qui se trouve à l’autre bout du fil. Quoi qu’il en soit, Marine veut par-dessus tout retourner au Japon, et le chaos urbain xénophobe qui l’environne prend de plus en plus des atours de grand complot contre le Pays du Soleil Levant et ses ressortissants persécutés… Et, franchement, tous ces passages… c’est un peu rude. Régulièrement ridicule, en fait. Parfois, je suppose que cela tient à une démonstration de l’humour pas qu’un peu tordu de l’auteur, et l’idée de la poupée est plutôt bonne par ailleurs, et le cauchemar vécu par Marine est palpable, mais l’accumulation produit un effet un peu nauséeux qui a fini par m’assommer. Alors, premier degré, second degré, trente-septième post-post-méta-degré ? Je ne me sens pas capable de trancher – ou je n’ose pas, plus exactement. Peut-être la suite nous éclairera-t-elle davantage…


Reste que ces chapitres ont pesé dans la balance, et mon sentiment est donc bien plus mitigé qu’au sortir des trois tomes qui précèdent. Peut-être est-ce par ailleurs ce qui a renforcé un sentiment du même ordre concernant cette fois le dessin – de manière sans doute injuste, car on est dans la continuité des tomes précédents et de bon nombre d’autres œuvres d’Umezu Kazuo ; mais, si les planches les plus « expérimentales » sont toujours aussi fortes, qu’elles jouent à nouveau des visuels informatiques ou technologiques, ou s’aventurent sur des terres hallucinées davantage fantastiques, et si quelques scènes d’horreur, çà et là, sont parfaitement horribles (et font mal aux yeux, ce n’est qu’un exemple), le dessin plus « lambda » de la narration « normale » convainc moins, avec notamment ces personnages qui ont toujours la bouche ouverte en forme de rond noir et qui hurlent la moindre de leurs répliques (cette BD fait littéralement mal aux oreilles – et ce qui se justifiait pour le Satoru puéril du début du tome 1 passe moins bien ici).


Peut-être faut-il que je mûrisse un peu ce tome 4 – peut-être faudrait-il, par exemple, que je le relise au calme avant de me lancer dans le tome 5, qui ne devrait plus trop tarder en principe. Mais, en l’état, bilan plutôt mitigé, donc – bien inférieur à celui des tomes précédents. Mais on verra ce qu’il en sera de la suite.

Nébal
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le 18 janv. 2019

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Nébal

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