Kamui-Den
8.2
Kamui-Den

Manga de Sanpei Shirato (1964)

Kamui-Den démarre son récit en douceur, l’histoire se déroule sur l’île de Kumamoto à l’ouest du Japon dans le village de Hioki. L’histoire commencera véritablement après plus de 200 à 300 pages de lecture. Le début étant consacré à présenter les lieux, ambiance et la nature. Notamment sur la vie d’un loup qui sera rejeté par ses frères, apprenant à grandir et devenir fort pour survivre.


Cette longue introduction, pose le cadre pittoresque et rural dans lequel le Japon évolue. En pleine période féodale sous le règne des Tokugawa, les hommes des campagnes vivent encore en accord avec la nature et apprends à tirer parti de ces bénéfices. Tout doucement le récit intègre les personnages un par un. Malgré cette « préface » en douceur, la multiplication des protagonistes demandera au lecteur de prendre le temps de comprendre les liens qui les unis, car des personnages vous allez en rencontrer une pléthore qui, selon les péripéties, ne feront pas long feu.


Toutefois il est intéressant de noter qu’aucune mention précise les personnages qui seront plus important, c'est au fil du récit que le lecteur comprendra leurs importances. Trois destins vont s’entrecroiser, trois conditions de vie différentes, trois castes définies qui vont tout faire pour ne pas se soumettent à ce système féodal. L’auteur va mettre en place une intrigue où chaque personnage subira le poids de son grade social.


À cette époque les parias étaient chargés des basses besognes, détestés des paysans et obéissant aveuglément aux ordres des administrateurs du fief. Les paysans, pourtant pilier nourricier de la société, sont exploités et contrôlés rigoureusement par le fief, ils cultivent les terres et payent l’impôt annuel exorbitant sous risque de très forte réprimande. Les administrateurs du fief sous ordre direct du shogunat, qui impose des quotas toujours plus importants pour payer les dépenses. Ils sont aussi chargés de garantir l’efficacité du système de discrimination entre classes.


Les guerriers sont chargés d’assurer l’ordre public, régi par le code d’honneur, nourris et logés pour leur travail. Et les marchands vivants que pour l’argent et cherchant à obtenir le monopole d’un produit avec l’accord d’un représentant du fief corrompu, tout en exploitant encore plus les paysans. Et tout cela sans se focaliser sur une classe en particulier.


Autant de castes et de conditions sociales qui se détestent les uns des autres, et qui permettent aux dirigeants de mieux contrôler la population. Cette discrimination sera le coeur de l’oeuvre, l’auteur rappellera son importance dans l’intrigue et dans de nombreux textes où il s’exprime. Sans ce système il est impossible au shogunat de contrôler la population, mais quand celui-ci tire trop sur la corde les révoltes commencent.
L’ambiance du manga est ancrée dans un réalisme fort le tout couplé avec quelques évènements réels. Bien que l’auteur reste dans une histoire fictive, il prend un soin particulier à représenter les conditions de vie de cette époque, détailler les règles abusives contrôlant la population, expliquer la culture des champs, du coton, des vers à soies et les outils des paysans. Tout comme les pratiques illégales des marchands, ou encore le paiement des impôts réalisé par les administrateurs.


Autant de paramètres qui permettent au récit de gagner en crédibilité. Mais le mangaka n’hésite pas à ajuster son tir s’il prend des libertés lors de longs commentaires qui sont parsemés dans l’oeuvre. D’ailleurs ce dernier profite de ces espaces pour détailler, tel un cours d’histoire, les rouages et la richesse de cette époque.


Hélas la réalité de cette période est atroce, les images sont souvent dures. La pauvreté, l’exploitation des castes inférieures, la domination violente des castes supérieures, la famine, la misère extreme, les injustices permanentes, les catastrophes climatiques, la torture, les amours impossibles entre castes, la barbarie et la perte de nombreuses vies sont des sujets permanents.


Dans l’oeuvre l’insignifiance de la vie est marquante, les protagonistes survivent et meurent pour n’importe quelle raison. Que ce soit des personnages secondaires, principaux, enfants, adultes ou vieillards. La valeur de la vie était quasi inexistante, si un paysan meurt, un autre prendra sa place. Si un administré fait une faute, il doit se faire seppuku pour laver son honneur et ceci pour toutes les castes.


Cela reste contrebalancé par quelques éléments très fantasmés qui gardent un côté « manga », notamment du coté des ninjas qui usent de techniques de disparition, dissimulation et autres techniques irréelles. Ou encore les guerriers, avec leurs techniques de combat et leur habileté sans pareilles. Cela rajoute un côté fantastique à l’oeuvre non déplaisant qui allège la lourdeur du propos. La nature aura aussi une place importante dans le manga, régulièrement le récit met en scène des animaux sauvages avec de longues séquences sans humains.


Nos trois personnages principaux vivront dans cette société et devront suivre leurs voies. Chacun aura ses objectifs pour ne pas se plier à ces lois discriminatoires. Shôsuke, fils de domestique, veut devenir payant et aspire à vivre heureux avec les parias et jouir de ses cultures. Ryûnoshin, fils d’un guerrier, sera prêt à renier son grade pour se venger des administrateurs pour qui salit l’honneur de sa famille. Et Kamui qui cherche à s’échapper de son destin de parias en prenant la voix de l’ombre en devenant un ninja. Faisant ainsi une véritable critique sociale de la lutte des classes, emblème du marxisme, qui pourrait encore être transposé, à une certaine échelle, dans notre époque.


L’histoire se déroule sur plusieurs décennies et c’est une véritable fresque humaine que l’auteur nous déroule tout au long de ces 6000 pages. Certains, encore enfant au début du récit, grandiront et auront aussi des enfants, qui grandiront à leur tour. De nombreuses années et saisons défilent pour raconter toujours plus de situations possibles vécues à l’ère Édo.


Le scénario est extrêmement bien ficelé, travaillé et cohérent accompagné d’une narration dynamique. Les tentatives de corruption, de monopole, d’assassinat sont réfléchies sur le long terme et à plusieurs niveaux. Les situations s’enchaînent et sont amenées naturellement. La trame générale accroche le lecteur et immerge ce dernier dans cette époque. Certains passages sont chargés en tension ou en émotions et marqueront les esprits.


Mais comme tous les univers complexes et denses en protagonistes, rebondissements, ou autres nombreux évènements, il est parfois difficile de se repérer. La galerie des personnages est telle qu’il est parfois compliqué de se rappeler quels sont le nom de tel personnage, sa position exacte et ses relations. Sachant que certains changent d’identités, comme les ninjas qui usurpent le visage d’une autre personne ou changent de nom.


Il en devient même parfois très difficile de suivre toutes les interactions et le lecteur peut décrocher de l’histoire. Le scénario étant par moments aussi complexe qu’un Game of Thrones, la série demandera un investissement personnel supplémentaire, voir une seconde lecture pour certains. De plus l’auteur n’est pas avare en paroles et certaines pages comportent plus de texte que d’image !


Naturellement certaines intrigues restent facultatives ou ne sont pas exploitées jusqu’au bout, certains personnages agissant dans l’ombre ont parfois été délaissés ou reste sans explication de leur réelle implication. Le personnage portant le nom de ce manga disparaît de très long moment. Tout comme certaines facilités scénaristiques ou retournement de situation qui aurait pu être évité, mais rappelons que le manga a tout de même 50 ans !


Dans l’ensemble quasiment toutes les histoires et intriguent principale se terminent. Et vu le nombre d’intrigues et d’acteurs, c’est véritable un tour de force d’arriver à conclure autant de sous-scénario. Bien que l’auteur indique à la fin du récit que « le véritable thème de l’histoire n’est pas encore apparu ».


Dessin :
Le dessin est un point difficile à juger car pour son époque il était graphiquement dans les standards du moment, mais pour le lecteur d’aujourd’hui il est vintage et peu attirant. Passons sur ce rejet potentiel et intéressons-nous y de plus près. Les yeux les plus aguerrit remarqueront immédiatement que le trait se veut semi-adulte avec des décors réalistes et des personnages typés des années 60.


Le manga était publié dans le magazine d’avant-garde Garo, qui avait pour but de se différencier des oeuvres enfantines de Tezuka. Le trait se veut plus marquer, beaucoup moins rond, continuant dans le courant Gegika instauré par les maîtres Matsumoto, Tatsumi et Saîto, et il n’a pas perdu de sa superbe ! Les émotions des personnages sont parfaitement retranscrit tout comme les ambiances festives ou dramatiques.


Le dessin est cru et brut et cela se ressent surtout dans la scène de barbaries ou violences. Chaque personnage à son trait de caractère, et ils sont identifiables, mais ce serait mentir, au vu de la multitude de personnages, de pas en confondre certains. Le deuxième point marquant c’est la qualité du mouvement et le dynamisme dans les cases, les combats entre guerriers ou ninjas ne sont pas statiques, et cela en devient même surprenant.


Toutefois ce serait mentir de ne pas préciser que l’oeuvre gagne en qualité visuelle au fur et à mesure des pages, et que quelques passages baissent en qualité graphique. De même pour certains combats sont parfois brouillons. C’est peut-être dû au rythme de sortie de l’époque.


Édition :
Kana, qui a eu le courage d’éditer ce manga culte, choisira un format particulier. L’édition est composée de 4 gros volumes d’environ 1500 pages chacun (soit plus de 30 volumes normaux). Dans un format moyen (env. 15x21cm) sans jaquettes amovibles où rabat de couverture. Le format a été choisi dans un but économique pour pallier a un risque d’échec commercial certains. Le papier est très fin mais assez rigide pour ne pas risquer de se déchirer.


Étonnement il est peu transparent et ne gêne pas la lecture, bien que parfois difficile à attraper pour tourner les pages. Le format imposant en fait un tome lourd à manipuler qui ne rend pas aisé son transport ou sa lecture. Point de pages de couleur mais deux analyses/commentaires de Karyn Poupée sont présent sur les deux premiers volumes. Kana réussit à proposer pour moins de 30€ un livre équivalant à presque 8 mangas, soit 4€ le manga ! et publie par là même un monument de l’ère Gekiga.


Conclusion :
Si Kamui-Den devait se définir en un mot se serait : Épique. Que ce soit dans son récit sur plusieurs décennies, son réalisme sur l’ère Édo, son message sur la survie des classes sociales, les nombreux personnages ou encore pour ses intrigues complexes. Véritable oeuvre culte et adulte, c’est un indispensable du patrimoine culturel qui a su influencer la vision du ninja de nos jours. Les 6000 pages qui vous attendent seront vous donner de quoi lire pour un moment.

darkjuju
10
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le 5 déc. 2020

Critique lue 203 fois

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darkjuju

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