Kirihito est un seinen (manga pour adulte) d'Osamu Tezuka, littéralement surnommé le Dieu du manga. Ce dernier est dans une période plus sombre et son travail s'en ressent. Caractérisée par l'ère Gekiga, mangas dessinés entre 1960 et 1970, ayant non seulement pour cible les adultes mais traitant particulièrement de drame ("geki") et de sujets sociétaux, généralement d'actualité, le dessin est de ce fait moins arrondi que les mangas d'aujourd'hui avec des traits beaucoup plus droits et donc plus réalistes.
Cette édition reprend l'intégralité de l'histoire pré-publiée initialement de 1970 à 1971, à l'époque même où se situe l'histoire et ensuite relié en 4 tomes (en 1977).
L'intrigue se penche sur une mystérieuse maladie qui engendre dans un premier temps une mutation physique des sujets en les faisant ressembler à des chiens jusqu'à leur décès rapide. Elle entre en résonance avec diverses maladies environnementales (dont la maladie de Minamata) développées au Japon à cette période. Les lobbies industrielles et le gouvernement en place, main dans la main à l'époque, auront fait souffler un vent de silence sur ces affaires. Kirihito reprendra également les enjeux politiques et les rivalités entre facultés de médecine qui viennent parasiter la recherche. En tant qu'ancien étudiant de médecine, il maitrise la vulgarisation de son sujet et l'envers du décor qui n'est pas bien reluisant.
Il s'attaquera également à d'autres sujets comme la prise en charge et l'accès au soin, la religion, la condition des femmes, le racisme...
Kirihito est une œuvre très riche dont les 824 pages sont parfaitement aérées malgré l'étendue des sujets traités. Osamu Tezuka est doué pour insuffler l'éblouissement devant certaines planches et traiter de sujets complexes en un minimum de cases. Qui plus est, la lecture est aisée et très fluide du fait d'un découpage ingénieux : une idée/une action = une case. C'est très agréable à lire. J'ai été impressionné par certains agencements, généralement matérialisant le cheminement de pensée de protagonistes, qui nous guide de manière intuitive dans un sens inhabituel de lecture.
Je regrette toutefois d'être sorti une fois ou deux de l'histoire qui a un peu trop mis à mal ma suspension consentie d'incrédulité. L'histoire est crédible et de nombreux éléments viennent l'étayer mais certains éléments de hasard m'ont laissé circonspect. En cela, je lui préfère sa petite sœur Ayako (publiée entre 1972 et 1973).
Mis à part ce très léger défaut (somme toute subjectif), Kirihito reste une œuvre emblématique. Rares sont les mangas d'une telle qualité.