J’ai lu « L’Assomoir » d’Émile Zola cette année. J’ai été subjugué par ce chef d’œuvre. Quelques mois seulement après, voilà que je tombe sur une adaptation en bande-dessinée par Mathieu Solal, Xavier Bernoud et Emmanuel Moynot sortie en 2022. Les auteurs ont décidé de transposer l’histoire du Second Empire jusqu’à notre époque. C’est donc une double adaptation qui nous est proposée. Le tout est paru aux Arènes BD et pèse 180 pages (soit moins que le roman quand même !
Évidemment, on n’attendra pas la richesse du roman lors de son passage en bande-dessinée. Les auteurs se sont efforcés de garder tout le squelette et la majorité des intrigues de l’ouvrage. Ayant lu le livre juste avant, j’ai reconnu sans peine les scènes. La transposition est plutôt habile. Les métiers ne sont plus couvreur ou blanchisseuse, mais livreur et esthéticienne. L’auto-entreprenariat remplace les journaliers. Tout cela est plutôt habile et fonctionne à tous les niveaux (passer d’un HLM à un appartement plus cossu, l’incompréhension face aux œuvres du Louvre devient l’incompréhension devant les œuvres du Palais de Tokyo…).
Malgré tout, certaines histoires auraient peut-être dû être complètement supprimée. La voisine battue, le beau-frère et la belle-sœur, et même Nana souffrent d’un traitement trop succins. Certains chapitres du roman, qui valaient avant tout pour l’écriture de Zola, perdent ici de leur intérêt (le mariage notamment). Au-delà de l’exercice de style, je ne sais pas si quelqu’un qui n’a pas lu le roman prendra du plaisir à lire la BD.
Il y a quelque chose que je déteste dans les adaptations de roman, c’est que l’on cite les phrases du livre, que ce soit en voix off dans les films ou en récitatifs dans les BD. « L’Assomoir » hélas le fait à plusieurs reprises. D’abord, avant chaque nouveau chapitre. Ensuite, dans les scènes elles-mêmes. C’est assez incompréhensible car, la majorité du temps, les auteurs utilisent les silences de façon plutôt pertinente. Or, l’écriture de Zola n’est pas du tout adaptée à des scènes d’aujourd’hui. Cela crée une distance et nous sort de l’histoire.
Au niveau du dessin, je n’ai pas été séduit par Emmanuel Moynot. Je lui ai trouvé des points communs avec Tardi et me suis aperçu qu’il avait repris la série « Nestor Burma » à sa suite justement. En cela, les personnages ont de sacrées trognes. Il y a un côté grotesque qui correspond au bouquin. Mais leurs traits sont inconstants. Même Gervaise semble changer de visage selon les cases. Bien sûr, elle grossit pendant le bouquin, mais la métamorphose ne marche pas (Gervaise prend du gras au visage, mais pas au ventre par exemple) et manque de constance. Sur une case elle paraît obèse, sur celle d’après, elle est mince… Ce côté un peu kitsch semble voulu, à l’image de cette couverture franchement laide façon néons.
« L’assomoir » m’a déçu par son dessin peu maîtrisé. Et si Zola parvient à nous tenir par sa magnifique écriture, on ne passe pas à côté des longueurs dans la BD. Cependant, la transposition de l’ouvrage 150 ans plus tard est plutôt réussie et fonctionne. À réserver aux curieux.