Une des mes grandes marottes, c’est l’uchronie. C’est pourquoi la collection de bandes dessinées « Jour J », parue chez Delcourt et scénarisée par Jean-Pierre Pécau (spécialiste du genre, voir Le Grand Jeu) m’a sérieusement titillée. Son gros défaut est que, si elle part de bonnes idées, elle joue souvent avec des intrigues très capillotractées et le dessin est très inégal d’un album à l’autre. Ce sixième tome, L’imagination au pouvoir (avec Fred Duval et Fred Blanchard en co-scénaristes et Mr Fab au dessin), est largement le plus convainquant de la série.
On découvre le point de divergence au hasard de l’intrigue principale (le vol de 200 millions de francs volés pendant un transfert de la banque de France): De Gaulle meurt dans un accident d’hélicoptère le 31 mai 1968 et la situation insurrectionnelle à Paris dégénère en guerre civile sur tout le territoire français. Cinq ans plus tard, la capitale se reconstruit et un ancien soldat présumé mort revient demander des comptes.
Soyons clair, l’intrigue est assez accessoire. Ce qui est réellement intéressant, c’est l’idée d’un Paris en pleine métamorphose très 1970, avec ses bâtiments-bulle colorés, sur fond des ruines de la guerre civile, et surtout ses multiples factions – maoïstes, staliniens, situationistes, brigades internationales, Service d’action civique et autres groupuscules d’extrême-droite.
C’est l’occasion de croiser beaucoup de figures politiques de ces trente dernières années (Jacques Chirac, Daniel Cohn-Bendit, François Mitterrand), parfois à contre-emploi (Bob Woodward, le journaliste du Watergate, en agent de la CIA), plus des célébrités (Jim Morrisson, mais j’ai aussi cru reconnaître Serge Gainsbourg et Brigitte Bardot). Ça grenouille énormément et l’album met clairement en lumière l’affrontement entre une utopie en fin de course et des « réalistes » qui veulent remettre sur pied un vrai système politique, ainsi que le poids des blessures françaises mal guéries.
Ce qui m’a mené à penser que, curieusement, il n’existe très peu de jeux de rôle sur les années 1960-1970 en général et, à ma connaissance, aucun sur Mai 68 en particulier. Pourtant, L’imagination au pouvoir prouve que c’est un décor qui se prête merveilleusement à l’exercice de l’uchronie et qui est garanti d’envoyer les personnages sur une autre planète.
Donc, si l’amour libre, les drogues, le rock’n’roll et les tensions d’un monde encore plongé dans la Guerre froide vous tentent, je vous conseille fortement L’imagination au pouvoir, parfait pour commencer une petite documentation, avec les films de Jean Yanne de l’époque (surtout l’excellent Moi y’en a vouloir des sous).