Quand les mots manquent, mais que Larcenet les dessine pour que l’ombre parle à la lumière

Avec L’Indicible - Le Rapport de Brodeck, tome 2 (2016), Manu Larcenet adapte avec brio l’œuvre de Philippe Claudel et nous plonge dans une fable sombre, poignante et universelle. Ce deuxième tome poursuit l'exploration de la culpabilité collective, du silence complice et de la mémoire défaillante, tout en s’enfonçant plus profondément dans les recoins les plus sombres de l’âme humaine.

L’histoire reprend où le premier tome s’était arrêté : Brodeck, chargé de rédiger un rapport sur un crime atroce commis par les habitants de son village, continue de confronter le passé, le leur et le sien. Ce tome est une descente encore plus vertigineuse dans l’indicible, ce que les mots seuls ne peuvent saisir mais que Larcenet parvient à évoquer avec une force graphique rare.

Brodeck, personnage principal et narrateur tourmenté, est à la fois victime et témoin d’un système où la peur et la haine régissent les actions. Sa lutte intérieure, entre le devoir de vérité et la tentation du silence, est dépeinte avec une sensibilité qui transcende les mots. Loin d’être un héros classique, il est un homme brisé qui tente de reconstruire quelque chose avec les débris laissés par la guerre et l’humanité déchue.

Visuellement, L’Indicible est une œuvre d’art. Larcenet joue avec le noir et blanc pour créer des contrastes saisissants : des ombres oppressantes qui symbolisent le poids du passé, des éclats de lumière fugaces qui laissent entrevoir une possible rédemption. Chaque case est pensée pour frapper le lecteur, parfois subtilement, parfois violemment. Les visages, marqués par la peur, la honte ou l’indifférence, en disent souvent plus long que les dialogues eux-mêmes.

Narrativement, ce deuxième tome pousse l’intrigue à son apogée, révélant peu à peu les détails du drame qui a conduit à la mort de "l’Anderer" (l’Étranger). Les non-dits et les silences prennent autant de place que les mots, créant une atmosphère lourde mais captivante. L’horreur est suggérée plutôt que montrée, rendant le récit encore plus percutant.

La force de L’Indicible réside aussi dans sa capacité à transcender son contexte. Bien que l’histoire se déroule dans un village reculé après une guerre, elle aborde des thématiques universelles : la peur de l’autre, la responsabilité individuelle face à la masse, et les cicatrices invisibles laissées par les choix collectifs. C’est une œuvre profondément humaine, où chacun peut se reconnaître, ou se confronter à des vérités qu’il préfère ignorer.

Cependant, ce n’est pas une lecture facile. La densité émotionnelle et la gravité des sujets abordés exigent du lecteur une attention et une disponibilité totale. Mais ceux qui s’y plongent en ressortiront transformés.

En résumé, L’Indicible - Le Rapport de Brodeck, tome 2 est une œuvre magistrale, où Larcenet allie l’intensité visuelle à la profondeur narrative pour donner vie à un récit universel et intemporel. Avec une puissance graphique et émotionnelle hors du commun, cet album explore les limites de la bande dessinée et de l’humain. Un chef-d’œuvre sombre et nécessaire, qui murmure là où d’autres crient, et qui résonne longtemps après la dernière page.