En ces temps propices à la paranoïa et au complotisme, cet ouvrage, traduit d’un classique de la BD canadienne, arriverait presque à point nommé. Tandis que l’on reproche souvent aux réseaux sociaux de favoriser ce poison antidémocratique, qui semble plus que jamais trouver un écho depuis le début de la crise sanitaire et avec l’élection présidentielle américaine, on aurait presque oublié que le contexte des années 50 — qui marquèrent le début de la Guerre froide — constituait un terreau remarquable pour son épanouissement.


Bien sûr, ce thriller mâtiné de SF reste du pur divertissement et ne prétend rien dénoncer, mais restitue assez bien l’atmosphère de l’époque outre-Atlantique, où la Chasse aux sorcières battait son plein contre tout ce qui de près ou de loin était susceptible de remettre en cause le rêve américain. De plus, Larry Hancock, le scénariste, joue aussi avec la terreur que suscitait la possibilité d’une invasion extra-terrestre dans ces années-là. Tout au long du récit, des soucoupes volantes apparaissent ça et là, discrètement dans le coin d’une case, sans que l’on soit sûr de leur réalité dans l’histoire. Il faut dire que le héros, Matt Sinkage, journaliste de profession, est persuadé d’avoir observé des OVNIS. Sa volonté de relater tout phénomène sur le sujet à travers les colonnes de son journal va déclencher de puissantes forces contraires, révélant un complot ourdi par une obscure organisation en lien avec des agents corrompus du FBI.


Pour le décrédibiliser et le réduire au silence, on utilisera le prétexte fallacieux d’alliance avec l’ennemi soviétique, le coupant progressivement de ses proches et le conduisant à fuir. Dans cette vaste machination à l’œuvre qui verra les cadavres s’accumuler, plus moyen de faire confiance à qui que ce soit : il suffit d’un claquement de doigt pour que l’ami devienne soudain l’ennemi et vice-versa. Un cocktail diabolique où la raison ne peut que vaciller…


Si le scénario reste assez classique, sa construction est bien élaborée. Les dialogues étant assez denses, le lecteur devra faire preuve d’une certaine concentration, d’autant que le trait — une ligne claire à la fois moderne et vintage — de Michael Cherkas ne facilite pas la tâche. Non pas qu’il soit désagréable, loin de là, rappelant beaucoup le travail de Serge Clerc en beaucoup plus stylisé. Cherkas recourt délibérément à des proportions outrancières, où les visages semblent étonnamment minuscules par rapport aux corps surdimensionnés, gênant parfois l’identification (pour cela, on sait gré aux auteurs d’avoir fait une description brève des principaux protagonistes en tête d’ouvrage). Cela peut dérouter au départ mais on finit par s’y habituer voire, pourquoi pas, trouver cela très original…


Au final, le premier tome de cette tétralogie est loin de nous avoir révélé tous ses mystères, et on ne serait pas opposé à la perspective d’en connaître la suite. Il ne faut pas s’attendre à des effets grandiloquents, mais l’atmosphère reste assurément étouffante. Peu connus du public européen, ces deux auteurs canadiens ont produit là un comics qui ne va pas révolutionner le genre, certes, mais reste d’une qualité plus que décente. À suivre…

LaurentProudhon
7
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le 13 déc. 2020

Critique lue 37 fois

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