Second opus de la série qui a gagné le Prix des Libraires du Québec dans la catégorie BD étrangère, "L'ombre de l'oiseau" est plus sombre et profond, mais prend place dans un monde plus élaboré, certain semblant être à la frontière du réel.



Kest, un oiseau malveillant, est de retours et s'en prend aux soleils artificiels des terres connues d'Irpa, dont le premier sur la liste est la ville de Lealand. Béa et Cad sont dans un village d'arsaïs, petites créatures bleues au français singulier, caché derrière une cascade. L'un d'eux leur livre un message du grand-père de Béa à L'intention ce celle-ci, l’enjoignant à retrouver Lorgon, l'esprit des eaux, pour solliciter son aide dans la lutte à venir contre Kest. Néanmoins, elle choisit de suivre Cad à Lealand, le premier endroit où Kest frappera et où son compagnon espère vaincre une bonne pour toutes. Hélas, ils sont mit en échec et les habitants de Lealand doivent maintenant cheminer à travers les ténèbres vers la prochaine cité recouverte de lumière, Rinn. Béa et Cad se retrouvent dans une étrangère dimension, ayant échappé à Kest grâce à l’intervention de leur ami arsaï. Un monde composé de fragments éparses et flottant, où de multiples architectures se côtoie et où les rivières serpentent dans le vide. Selon les indications de son grand-père, ce serait le royaume sous terre de Lorgon. Après avoir libéré un dragon, les deux comparses et leur deux animaux font en effet la rencontre de l'esprit des eaux, sort de gigantesque serpent des mers, aussi dandy qu'hautain. Ce qu'il a à leur apprendre change complètement la donne, mais encore faut-il qu'ils comprennent les implications à temps, avant de faire un geste qui pourrait être fort regrettable...



Y a pas à dire, j'adore cette BD. C'est un univers étrange, qui semble à la fois évoquer de nombreuses peuplades et divers folklore. Il s'en dégage quelque chose de familier, mais en même si différent. Le représentations des personnages sont originales et rafraichissantes, les couleurs fabuleuses et les notions de bien et de mal sont malmenées. Une histoire d'amitié, également, qui évolue tranquillement, dans un univers aussi magnifique que menacé.



Bea est un archétype que j'apprécie beaucoup et qui reste relativement peu employé. Elle est intuitive, un peu pessimiste, anxieuse, réellement courageuse. Elle a du mal à se faire confiance et à prendre des décisions, mais elle fini par le faire pratiquement chaque fois et accorde de l'importance à la réflexion. Elle sent que les choses ne sont pas aussi simples qu'elles le paraissent. Dans ce tome-ci, elle semble avoir eu des "contacts psychiques" avec Kest, l'antagoniste de l'histoire, comme si sa sensibilité avait été interpellée à un autre niveau. Bea est beaucoup moins catégorique et décidée que Cad, son compagnon, qui finit souvent par la faire ranger à son avis. Pourtant, on le sent, c'est Bea qui a la meilleure approche. Elle n'est simplement pas assez en confiance avec elle-même pour y accorder pleins crédit. Sa grande force sont son empathie et sa capacité à extrapoler. Tout le contraire de Cad, finalement, qui se tient à ce qu'il connait et ce qu'il voit. Il est toujours aussi sur de lui, mais on sent qu'il accorde plus d'importance aux hésitations de Bea, ce qui illustre le développement de leur relation amicale. Il a le défaut d'être manichéen, à réfléchir en bien ou en mal, sans apporter de nuances. Son courage est différent également. Alors que celui de Bea est de surmonter ses propres craintes pour aller de l'avant, dans le cas de Cad, c'est d'agir comme s'il ne pouvait pas perdre. Néanmoins, le ton léger de Cad a du bon, son humour également. L'angoisse n'est clairement pas un émotion qu'il vit souvent.



Il faut que je vous parle de Kest, l'antagoniste, alors je vais devoir divulgâcher ici un aspect important. Vous êtes prévenus. On a tendance, dans bien des histoires jeunesse, à considérer le "méchant" comme un fauteur de troubles centré sur ses propres besoins. Kest a cette étiquette ici aussi, mais on découvre dans ce second opus que c'est peut-être l'inverse. Kest, déjà, n'est pas une entité ténébreuse comme les habitants d'Irpa le croit, mais en réalité l'esprit généreux de la Lumière. Le soleil était par conséquent sa création et il avait le droit légitime de le récupérer. Ce qu'il fit, non sans raisons. Nous pouvons lire entre les lignes- ou plutôt entre les illustrations - que Kest a perdu quelqu'un de cher, probablement un autre esprit, peut-être celui des ténèbres, justement. Il ou elle a été massacré par les hommes et on peut supposer qu'ils le firent en pensant se débarrasser de tout ce qui est ombrageux. Kest, de chagrin, a donc décidé de se venger en reprenant le soleil, mais ce faisant, a été étiqueté comme un ennemi. Nous apprenons également par le personnage sans nom de l'ethnie arsaï, que la lumière est noire, ce qui va donc dans le sens de Kest: c'est à lui qu'on doit la lumière claire. En le tuant, la lumière retourne à sa couleur d'origine.



Ce qui est plaisant dans ce jeu d'ombre et lumière, c'est d'une part, mettre l'accent sur l'implication des hommes, qui dans leur ignorance et leur suffisance, ont cru s'approprier la création d'un esprit, mais également, d'autre part, causer leur propre perte en raison de leur incompréhension de leur propre monde. S'ils avaient un temps soit peu écouter et observer, ils auraient comprit quel chance ils ont d'avoir eu l'aide d'un esprit pour vivre dans la lumière. S'ils avaient comprit, ils n'auraient pas chercher à détruire un autre esprit et ainsi déséquilibrer le monde. L'incompréhension engendre la peur et la peur engendre la haine. On le connait bien ce trio là. En somme, si les hommes s'étaient montrés moins ingrats et plus attentifs, on n'en serait pas là. Là-dessus, le personnage de Lorgon a bien raison.



Ce qui est notable aussi, c'est que contrairement à bien des histoires, Lightfall place le "Héro" dans une position pas si héroïque que ça. Cad a peut-être trucidé Kest et "sauver" la flamme du soleil artificiel de Rinn, le fait est que celle-ci a viré noire. On comprend alors que toute cette idée de "vaincre Kest" était une illusion commode, mais dans les faits, c'est une énorme erreur.



J'apprécie toutes les histoires qui malmènent les standards désuets comme le concept du "Héro", celui qui porte une épée et tue le gros méchant. Ah, si le monde était si simple! Parfois, c'est le héro qui nuit et le méchant qui avait raison. Une notion encore peu représentée, mais qui gagnerait à être connue. Après tout, ce n'est pas parce que nous sommes du côté du "héro" que celui-ci a forcément raison.



Je trouve le personnage de Nimm adorable. Ce chat ne semble pas très impliqué dans la quête, mais il est très important pour une chose: c'est un facteur d'apaisement pour Bea. Chaque scène où la jeune fille s'enfonce dans son angoisse, Nimm intervient en quêtant des caresses, en lui faisant des câlins et en cherchant à capter son attention. À certains égards, je trouve qu'il se comporte comme un chien, mais c,est peut-être parce qu'on dépeint toujours les chats comme des asociaux indépendants égomaniques? En tout cas, j'apprécie ce personnage, dont le non-verbal est très parlant.



Lightfall est ce genre de BD qui interpelle et qui divertit en même temps. C'est une œuvre qui aide à faire prendre conscience de deux choses: La première est l'équilibre précaire de notre monde. Nous avons le privilège d'être les habitants d'un monde où nous pouvons, avec un minium d'intelligence et de savoir-vivre, exister paisiblement. Mais ce monde ne nous appartient pas. Tôt ou tard, comme le fit Kest, la Nature reprendra ses droits et nous aurons été les seuls fautifs de nos comportements avides et de notre aveuglement borné et prétentieux. La seconde: être un héro peut prendre diverses formes. Être la force tranquille, sensible et intuitive, de celle qui questionne et refuse les idées reçues, peut être un plus grande force ou besoin pour la pérennité du monde que le personnage armé et têtu. En outre, je remarque que Lightfall laisse profiler une héroïne qui sauvera peut-être le monde sans armes et sans rester dans l'ombre du héro masculin.Bref, un incontournable pour l'univers de la BD jeunesse, dont les sublimes paysages et lieux oniriques vont plaire assurément autant aux BDphiles assumés qu'aux initiés, garçons et filles et où perce même l'humour et de la douceur. Une odyssée fantasy qui se lit d'une traite!



Pour un lectorat à partir du second cycle primaire ( 8-9 ans).

Shaynning
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le 23 oct. 2022

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