La Chanson - Chevalier Malheur, tome 1 par Le_bibliophage
Il y a quelques années, j'ai trouvé dans un bac de solde, les deux premiers tomes de la série le Chevalier Malheur. J'ai bien aimé l'histoire mais impossible de mettre la main sur le dernier tome. Le tirage a dû être revu à la baisse, faute de succès pour les précédents tomes. Il m'aura fallu près de trois ans pour en trouver un exemple à un prix et dans un état décent. Du coup, j'ai enfin pu me replonger avec plaisir dans la lecture de cette série fantasy de très bonne facture et qui mériterait un brin de reconnaissance.
L'intérêt du scénario est qu'il évite l'écueil classique de ce type de récit fantastique, où toute l'histoire se situe autour des luttes de pouvoir au sein d'un royaume quelconque. En BD, l'action prime souvent sur les personnages, qui du coup semble facilement interchangeable d'une série à l'autre. Il y a de belle série de Fantasy, souvent fort bien dessinée mais qui à mes yeux n'ont pas d'âmes. Sans éluder un contexte de fond, Pascal Bertho concentre son intrigue autour de ses personnages. Il développe des personnalités profondes et attachantes.
Au centre de l'intrigue, Groene est un chevalier vieillissant, héros de la fameuse geste du Chevalier Malheur. Dans sa fougueuse jeunesse, il était le plus vaillant chevalier du Royaumes des trois pics. Mais lors d'une terrible guerre fratricide, il perd tout. L'honneur de n'avoir su défendre son royaume, ses compagnons d'armes et la femme de sa vie. Depuis il n'est plus que l'ombre de lui même. Ne vivant plus qu'à travers l'illusion de la geste qui conte ses exploits passés. Un élément apparait qui va pousser Groene à se confronter aux fantômes de son passé. Ultime quête avant la mort, mais est-il le maître de son destin ? Tel est le véritable sujet de cette série.
Bertho partage son récit entre le présent et des flashback qui nous renseigne sur les moments forts de la vie de Groene. Si ses adversaires aiment à penser qu'il est juste un usurpateur chanceux, il semble pourtant avoir toujours su forcer son destin. Bertho insiste beaucoup sur l'importance des liens d'amitiés. Groene n'est rien sans ses amis et en même temps il est pour eux comme un modèle infaillible. S'ensuit un cheminement introspectif, où le passé lui donnera les clés d'affronter son avenir.
L'écriture est agréable et il apparait que Bertho a une très bonne maitrise de son univers. Alors que le récit est entrecoupé de nombreux flashback, l'ensemble reste très fluide à la lecture. Notamment car Bertho travaille avec finesse les transitions entre passé et présent. Il n'y a que sur le troisième volume où l'ensemble est un peu moins harmonieux . Certaines transitions sont moins évidente, mais je pinaille. Par contre, je pense qu'il manque un flashback qui aurait mieux explicité l'évolution de l'histoire d'amour de Groene.
Les fins lecteurs de bandes dessinées connaissent peut-être le travail de Stéphane Duval, qui avant cette série avait déjà dessiné plusieurs albums de fantasy chez Delcourt. J'aime beaucoup son travail car son trait est assez particulier. Il semble hors des courants que l'on retrouve habituellement en BD. Duval ne semble pas chercher le beau mais plutôt l'émotion. Je trouve son trait à la fois sensible et énergique. De prime abord, ça déstabilise un peu et pourtant dès que l'on est plongé dans ses albums, on ne peut être que sous le charme.
Le ton particulièrement épique du Chevalier Malheur donne à Duval l'occasion de faire de belles planches très dynamiques. Cela se ressent surtout dans les flashbacks, symbole de l'insouciance et de la fougue de la jeunesse. Les émotions y sont très bien rendues. En contrepartie, le dessin s'adapte aussi très bien à l'autre partie du récit, au rythme du chevalier épuisé par le remord et écrasé par le poids des ans.
Saluons aussi le travail d'Isabelle Cochet pour la couleur. Elle a une belle palette de couleurs qui s'adapte bien au dessin de Duval. Cela contribue fortement à accentuer les ambiances des différentes époques. Au final la couleur apparait comme aussi important que le dessin. D'ailleurs la qualité de son travail n’est pas sans évoquer celui d'Isabelle Rabarot, autre coloriste connue pour son travail chez Delcourt.
Pourtant à la relecture de la série complète, on en peut s'empêcher de noter quelques bémols. Tout d'abord, le choix des couvertures est peu judicieux. Pourtant il est de réputation que chez Delcourt, les couvertures sont toujours soignées. Là, ce n'est pas qu'elles soient moches mais je les trouve peu attirantes. La première est quelconque, n'évoque rien de notable. Tout au plus, cela semble surtout un hommage à la Quête de l'oiseau du temps (au tome 3). Malheureusement pas assez explicite à mon gout.
La couverture du second tome est la plus réussie. La trouvaille visuelle est parlante de suite et du coup interpelle mieux. Celle du dernier tome se passe de commentaire, tant elle est manifestement bâclée. Si l'impulsion d'achat d'une BD se fait essentiellement sur la couverture, On peut voir ici une piste qui expliquerait l'insuccès de la série.
Dans le second volume, Je ne comprends pas très bien les choix de mise en page des flashbacks, qui diffèrent par rapport aux deux autres albums. On alterne avec des fonds de page blanc pour le présent et noir pour le passé, qui alourdissent considérablement la lecture
D'une façon générale, le dernier volume est moins bon graphiquement. Le dessin semble avoir été fait plus vite, l'encrage est moins marqué et les couleurs numériques s'accordent mal au style de dessin de Duval. La faiblesse de cette album vient sans aucun doute du fait qu'il a du être réalisé plus vite afin de conclure la parution de cette série chez Delcourt.
A la lecture de la série complète, on se rend bien compte que le récit pâtit de quelques défauts de construction tant dans l'écriture que le dessin. Comme si les auteurs n'avaient pas eu une vision global de leur histoire. Ou peut-être que l'insuccès de la série ne leur a pas laissé le temps de développer suffisamment la série selon leurs envies. Nous n'avons pas affaire à une œuvre majeure. Cela dit, ces quelques défauts ne remettent pas pour autant en cause l'ensemble qui est assez plaisant. Je ne peux que vous conseiller de lire cette série.
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