Grand Prix d'Angoulême en 2002, François Schuiten est avant tout connu pour son travail sur les Cités Obscures, dont il est dessinateur et coscénariste (avec Benoît Peeters). Après la découverte d'une locomotive dont il tombe amoureux (dans le cadre d'un travail muséographique), il décide de se lancer dans l'écriture d'un album, seul. Chose qu'il n'avait faite auparavant. « 12, La douce » raconte l'histoire d'un mécano proche de la retraite qui voit les locomotives à vapeur rejetées pour l'électrique, puis le téléphérique. Van Bel n'accepte par cette évolution. Véritablement amoureux de sa locomotive, il part à sa recherche lorsqu'on la sort du circuit.
Si cet ouvrage n'est pas relié aux Cités Obscures, il possède beaucoup de points communs avec cette œuvre. On découvre un monde où les hauts montent sans cesse et où la société évolue. Alors que les hommes s'adaptent sans trop se poser de questions, un homme résiste à ce changement. D'abord par conservatisme pur et dur, avant que l'histoire ne lui donne raison.
L'histoire est donc articulée autour de Van Bel. Il sera épaulé par une jeune femme muette et sauvage, aussi mystérieuse que belle. L'ouvrage fait ainsi la part belle à la narration et au monologue. Cela donne d'autant plus l'impression d'une ère révolue, d'un changement sans retour possible.
La relation entre le mécano et sa locomotive, à la fois passionnelle et charnelle, est le point le plus original du livre. Remarquablement traité, avec ce qu'il faut d'excès, il montre l'amour que peut porter un mécano à sa machine, qu'il entretient en permanence. Chose qui disparaîtra avec les nouvelles locomotives.
Si le thème est plutôt bien traité, il perd un peu une substance au fur et à mesure des pages. Ainsi, le voyage en téléphérique est moins passionnant après un début très axé sur les modes de transport. Cependant, il faut bien avouer que le suspense est réel tout au long de l'ouvrage et que l'on dévore réellement les pages pour atteindre l'épilogue au plus vite. On n'a qu'une attente : que Van Bel retrouve sa Douce...
Mais que serait « 12, la douce » sans le dessin virtuose de François Schuiten ? Il sublime le thème avec maestria. Le choix d'un noir et blanc hachuré et chargé, donne ses lettres de noblesse à l'ouvrage. On est proche de la gravure. Cela permet de renforcer les ambiances, de traduire la chaleur, le feu, voire le désir. Ce choix graphique, pleinement adapté au propos, est remarquablement maîtrisé. De même, les choix de mise en scène, de plans, ne sont jamais des solutions de facilité. On voit avec « 12, la douce », ce que peut faire un auteur au talent incroyable.
J'ai été séduit par « 12, la douce ». Certes, c'est un récit plus intimiste que les Cités Obscures, mais il serait dommage de bouder son plaisir. Servi par un dessin et une ambiance prodigieux, c'est un vrai plaisir de lecture !
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