À force d’entendre du bien de « La favorite », j’ai fini par arriver à me le procurer. La bande dessinée de Matthias Lehmann proposait un parti pris graphique intéressant couplé à une histoire intrigante. Mais les promesses étaient-elles tenues ? Le livre est paru chez Actes Sud BD et pèse pas moins de 150 pages.
Constance est orphelin. Élevé par ses grands-parents, elle subit les brimades de sa grand-mère qui n’hésite pas à la punir pour un oui ou pour un non. Son grand-père, lâche et passif, laisse faire. Les brimades sont à un point tel que Constance doit s’habiller en petite fille alors qu’il est un garçon ! Isolé dans cette grande maison de la Brie, l’âge aidant, des envies de se rebeller commencent à germer en lui. L’arrivée d’une famille de Portugais et de leurs deux enfants dans la maison, pour entretenir l’ensemble, va rompre la solitude de l’enfant.
Quel curieux ouvrage que voilà ! Outre le thème malsain, Matthias Lehmann développe des planches variées, pleines d’inventivité et souvent déconstruites. Ainsi, il n’y a pas réellement de continuité dans le livre. Des scènes se succèdent, racontées par Constance. Cela peut-être une anecdote, une explication d’ensemble, des flashbacks… Cette richesse pourrait rebuter, mais c’est au contraire ce qui fait toute la force du bouquin. Varié et inventif, on a l’impression d’être devant une œuvre assez unique, porté par un thème fort.
Malgré la haine et la cruauté très présentes dans « La favorite », le livre évite tout manichéisme. L’auteur aurait pu se contenter de montrer l’horreur de la situation, façon fait divers, mais ce n’est pas le cas ici. Chaque personnage est porté par son caractère, son histoire et ses motivations. On ne cherche pas d’excuses aux grands-parents, mais des explications.
Au-delà du cercle familial, très fermé, la description de la Brie, de son village et de ses notables est savoureuse également. Leur culpabilité est abordée implicitement, leur cruauté bien plus frontalement. Que de petitesse et de frustration se dégagent de « La favorite ! ».
Afin de mieux encrer dans l’ambiance « fin de race » de l’ouvrage, Matthias Lehmann utilise un dessin en noir et blanc hachuré, façon gravure du 19ème siècle. Le choix est très pertinent, renforçant les ambiances de vieille France. Le dessin reste simple en soit, mais sait s’adapter aux situations, montrant une grande maîtrise de l’auteur dans la gestion des noirs.
Doté d’une histoire forte et de planches déconstruites remarquables, « La favorite » fait partie de ces livres qui pousse la bande-dessinée dans ses retranchements. Voilà un one-shot de grande qualité qui vous tiendra en haleine du début à la fin. Du grand art !