La Grande Guerre de Charlie, tome 1 par aaapoumbapoum
La Grande guerre de Charlie est un authentique pamphlet antimilitariste, en ce sens qu’il ne se complait pas comme la plupart des récits du genre dans la description spectaculaire mais finalement superficielle de la guerre comme « enfer absurde». Pat Mills, au contraire, soutient en filigrane la thèse du conflit comme système orchestré d’asservissement des masses populaires. Une classe d’homme symbolisée par une icône, terriblement attachante, d’adolescent mal dégrossi et illettré dont la naïveté confondante et les courriers bourrés de fautes à sa famille laissent bientôt place à une figure désabusée et amère.
L’odyssée macabre de cet immature estafette anglais à travers les tranchées de la Somme brille ainsi par son équilibre savant entre sens de l’aventure -avec son lot de scènes spectaculaires, de personnages iconiques et son découpage palpitant- et préoccupations documentaires voire politiques. Le dessin réaliste sublime parfaitement cette double ambition avec une luxuriance de détails riches de sens, sous une ligne nerveuse empreinte d’expressionnisme dramatique. Franchement, en dehors d’une scène bêtement démonstrative dans laquelle le héros fête son dix-septième anniversaire au beau milieu d’un bataillon de soldats arborant tous leur masque à gaz, il sera difficile de prendre en défaut le réalisme documentaire du dessin comme sa capacité à plonger littéralement le lecteur dans l’horreur des tranchées. Quant à la mort, la crudité assumée de sa mise en scène précipite à rythme régulier dans un maelström de sentiments contraires : brutalité ou soulagement, soudaineté imprévisible ou préméditation, gratuité ou injustice. Classique de la fin des années 70 jouissant d’une réputation de chef d’oeuvre outre-manche, La Grande guerre de Charlie n’avait pourtant pas encore connu de traduction. Voilà un tort réparé par Délirium, maison dont c’est le premier travail éditorial - en tout point admirable, de la maquette à la traduction en passant les abondants suppléments critiques. Difficile de passer à coté de cette peinture anticonformiste qui oppose à l’absurde de la guerre son contraire : le trop plein de sens.
S; Bapoum pour les Inrockuptibles