La revanche des Scythes
Un album introductif qui vaut essentiellement pour la beauté de ses planches et son contexte très séduisant d'antiquité fantasmée semi légendaire. En mélangeant des civilisations historiques...
Par
le 8 nov. 2019
8 j'aime
17
BD franco-belge de Sylvain Runberg et François Miville-Deschênes (2011)
Je profite de la sortie du nouvel album du duo, la suite du film La chasse du comte Zaroff, pour chroniquer l'intégrale de la série Reconquêtes, que je n'avais pas vu passer lors de la sortie de ses quatre tomes et dont l'atmosphère et le dessin m'ont littéralement envoûté en librairie! La très belle édition du Lombard sépare les tomes avec d'immenses doubles-pages reprenant les illustrations originales des volumes, un régal. Elle inclut un cahier graphique de recherches préparatoires de huit pages, très intéressant car il permet de voir l'évolution des premiers jets des personnages, beaucoup plus typés sémites avant leur évolution vers un type européen (j'y reviens). Enfin, une bibliographie des deux auteurs clôt l'ouvrage. Du très beau travail qui vaut un Calvin.
Dans une Antiquité reconstruite, l'avancée des puissants Hittites en Asie Mineure pousse la Horde des vivants à se reformer: cette alliance de trois peuples nomades, redoutables guerriers, va entamer une reconquête de leurs territoires, entre trahisons, suspicions et courage guerrier. Leur chronique sera suivie par une scribe, la très belle envoyée du roi de Babylone Hammurabi...
Reconquête est un étrange objet, un scénario composite mis en image par l'impressionnant François Miville-Deschênes, que je ne connaissais pas et qui compte indubitablement parmi les plus grands dessinateurs en activité. Ce qui saute aux yeux dès les premières planches c'est la technique parfaite du dessinateur québécois. Que ce soient les animaux, les hommes ou les femmes, tout est précis, détaillé, différencié. Alors qu'un certain nombre de dessinateurs réutilisent le même visage avec de simples changements de coiffures et de costume pour leurs personnages (Bilal par exemple), ce qui peut être gênant pour la compréhension, ici l'hyper-réalisme est extrêmement agréable et donne véritablement l'impression de lire un péplum sur grand écran. Le travail documentaire très conséquent sur les costumes, les décors, mobilier et l'imagination pour rendre cette Antiquité semi-historique crédible sont vraiment remarquables et montrent une passion de tous les instants mise dans ce travail. Il a toujours été compliqué de représenter l'Antiquité sans tomber dans le kitsch. Le style de Miville-Deschênes accentuait ce risque, en se souvenant des grands dessinateurs réalistes tels Chéret (Rahan) qui ont produit nombre de BD historiques un peu désuettes depuis les années soixante. Or, que ce soit par la colorisation très élégante ou l'esthétique générale, tout est de bon goût, crédible, travaillé. Certains albums font ressentir le travail préparatoire, le développement de l'univers et des personnages. C'est le cas ici, un peu comme dans la grande série Servitude, où les combats ne sont qu'un moment (grandiose!) dans la description ethno-historique de peuples qui combattent pour leur mode de vie.
Sylvain Runberg nous propose avec Reconquêtes une Antiquité fantasmée, reconstituée par agencement d'éléments distants. Ainsi la scribe qui fait office de narrateur est envoyée par le roi de Babylone Hammourabi (XVII° siècle avant notre ère) pour suivre l'alliance des peuples Sarmate (env. V° siècle av. J.C.), Cimmériens (VII° siècle...) et Callipides (peuple cité par Hérodote) face aux conquérants Hittites (entre XVI° et XI° siècle avant notre ère)... L'ajout de références à l'Atlantide et de quelques créatures mythologiques permettent d'éviter toute confusion quand au projet de réalisme historique et nous laisse profiter de la reconstitution de ce qu'aurait pu être cette antiquité oubliée. Si la pâleur des peaux surprennent au début, habitués que nous sommes à des typologies sémites pour les peuples antiques, elles illustrent le sérieux documentaire des auteurs puisque nous savons que les peuples Scythes étaient de type "caucasien", blonds et à la peau claire... Ce qui fascine c'est la cohérence de l'ensemble, avec des styles vestimentaires reconnaissables (et la propension des guerrières Sarmates, sortes de proto-amazones, à vivre torse nu...), la rudesse des combats et des mœurs, l'originalité de ces palais mobiles dans lesquels ces rois nomades se déplacent. Les auteurs ne nous épargnent rien de la violence de l'époque, avec des soldats souvent balafrés, des sacrifices humains bien gores et quelques séquences de sexe sans insistance. Si François Miville-Deschênes se fait plaisir en matière d'anatomie féminines aux plastiques parfaites, les planches restent très élégantes et cela ne tombe jamais dans le grivois. Qu'il s'agisse d'éléphants de guerre, de vieux magiciens ou de cavalières sarmates tout est élégance du début à la fin dans cet album.
L'intrigue est dramatique, dans le sens théâtral. Si les combats en cinémascope sont nombreux et parfaitement lisibles, le cœur de l'histoire repose sur les relations entre les trois souverains qui jouent entre respect, concurrence et méfiance. Un élément perturbateur est venu perturber l'équilibre de la Horde et une conspiration va semer la discorde en imposant aux trois dirigeants un choix: risquer la disparition de tous pour l'honneur de leurs peuples ou respecter l'alliance au risque de trahir leurs traditions propres. Ce dilemme qui les taraude du début à la fin est passionnant et permet de connaître les spécificités de trois peuples que seul le nomadisme et l'esprit guerrier tient ensemble. Reconquêtes pose sa focale sur le peuple des femmes et se rapproche en cela du récent Cœur des amazones mais en bien plus réussi car il n'oublie pas le spectacle.
Reconquêtes est la série que je n'attendais plus, un peu lassé de la Fantasy et peu intéressé par des BD historiques qui restent souvent figées dans leur aspect documentaire. Runberg aime tordre l'histoire tout en gardant ses bases comme sur sa récente série Jakob Kayne. Il propose avec son comparse un modèle de BD grand public à la fois héroïque, belle et bien écrite. Un régal.
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2019/05/24/reconquetes
Créée
le 27 mai 2019
Critique lue 137 fois
2 j'aime
2 commentaires
D'autres avis sur La Horde des vivants - Reconquêtes, tome 1
Un album introductif qui vaut essentiellement pour la beauté de ses planches et son contexte très séduisant d'antiquité fantasmée semi légendaire. En mélangeant des civilisations historiques...
Par
le 8 nov. 2019
8 j'aime
17
Je profite de la sortie du nouvel album du duo, la suite du film La chasse du comte Zaroff, pour chroniquer l'intégrale de la série Reconquêtes, que je n'avais pas vu passer lors de la sortie de ses...
le 27 mai 2019
2 j'aime
2
Pour prendre l'équivalent des films, voici l'exemple typique, à mes yeux, d'une BD blockbuster. Tous les aspects techniques sont irréprochables : le dessin est très soigné - certaines planches sont...
Par
le 3 nov. 2017
2 j'aime
Du même critique
Démarrant rarement une nouvelle série avant sa clôture (j'évite les longues séries Manga), je me suis néanmoins laissé tenter par ce Tsugumi project à la couverture très réussie et intrigante. A lire...
le 29 août 2019
4 j'aime
Comme souvent Glénat sort la grosse artillerie com' pour le passage du dessinateur de Lanfeust... dont on se demandait quand il accepterait de changer d'air après vingt-cinq ans à dessiner les...
le 4 mars 2019
4 j'aime
Deux éditions de l'album sont sorties en simultané, l'édition normale colorisée (très légèrement) par Vatine avec l'assistance de la grande Isabelle Rabarot et une édition grand format n&b avec...
le 5 sept. 2018
4 j'aime