Instructif
Cette nouvelle collaboration entre sociologue et dessinateur permet de découvrir la communauté réunie autour d'une mosquée, avec ses luttes d'influence, ses problèmes de visibilité et de financement,...
le 24 sept. 2018
Comme je pense que la religion est nocive pour l'Humanité puisque c'est là où la pensée vient mourir, je ne partais pas particulièrement avec beaucoup d'empathie. Et comme la bédé ne remet jamais en question ou en perspective les pratiques et croyances rétrogrades des personnages, je me suis retrouvé à hausser le ton pendant ma lecture.
Le scénario est basé sur un travail sociologique d'une dizaine d'années qui "restitue les enjeux quotidiens et locaux de l'islam hexagonal, entre solidarité, engagements, dissensions internes et suspicions publiques". On ne peut pas essayer de signaler sa présupposée neutralité plus fortement que cela.
La première chose qui m'a frappé dans ce récit, c'est l'absolu entre-soi des fidèles. A part lorsqu'ils y sont obligés (travail, scolarité, municipalité), ils restent en vase clos à ne parler que de leur religion et de la bonne façon de la pratiquer, soit entre eux soit dans un monde qui leur est hostile puisque non plié à leur dogme. Lorsque je lis des trucs comme "Je suis obligé de travailler mais on me fait transporter de l'alcool" ou "Le plombier n'a pas bien fait son travail, est-ce que dois le payer ?" et de ne vouloir qu'une réponse religieuse, ça a fortement tendance à m'agacer.
Parfois, le comportement de certains personnages pourrait faire passer la religion comme plus progressiste qu'eux. Par exemple, le père algérien qui refuse que sa fille épouse un marocain, mais qui changera d'avis après une conversation avec l'imam (personnage principal).
Il y a aussi des pépites comme (toujours à propos du mariage): "Finalement on va faire les choses comme il faut, d'abord la mairie. C'est Moussa [l'imam] qui m'a fait voir que c'était mieux comme ça ! (...) Il y a une partie juridique dans les pays musulmans aussi. Et puis, c'est même une question féministe, m'a expliqué Moussa ! Oui, tu sais, dans le mariage musulman, ton mari il peut te répudier super facilement... Si les deux sont d'accord ça va, mais si moi je veux pas ? Alors on va aller à la mairie. Comme ça j'ai exactement les mêmes droits que lui".
Ce passage a tellement de trucs qui ne vont pas qu'on dirait la traduction Panini de All Star Superman... Donc, s'il n'y avait pas de partie juridique dans les pays musulmans, elle serait inutile dans les pays non musulmans. Donc le droit d'un pays où on ne réside pas est supérieur à celui où on vit uniquement parce que la religion majoritaire est la même que le personnage. Pourquoi s'arrêter au mariage dans ce cas ? Et tous les pays musulmans ont vraiment les mêmes lois pour tout ? Si oui, pas de problème mais si non, on fait comment ? Mais le plus beau est la suite: si on veut l'égalité dans le mariage, mieux vaut n'être pas musulmane. Et ça lui parait tout à fait normal et à ne pas changer puisque c'est comme ça. Et son raisonnement est stupide: s'il veut divorcer mais elle pas, elle peut alors s'accrocher ! Déjà, c'est une mauvaise technique pour garder quelqu'un et qu'on peut faire une demande de divorce unilatérale, ce ne sera pas à l'amiable voilà tout. Et comme elle parle à une autre musulmane, ça fini par un "Tu as toujours raison" de sa part...
Mais la trame centrale de la bédé est la construction d'une mosquée et la vision de comment mener les fidèles. D'un côté on a l'imam en place (le héros de l'histoire) et de l'autre celui qui voudrait bien prendre la place après avoir été viré par une femme (à qui il refuse de serrer la main). Le premier a un discours doux et aux allures raisonnables (mais bon, il est toujours dans une vision orthodoxe de sa foi), le second apprend le Coran par cœur (il a le temps depuis qu'il est au chômage) et est plus revendicatif.
Cette bédé ne m'a toujours pas éclairé sur l'utilité d'un imam. On nous dit que la religion musulmane ne reconnait pas d'intermédiaire entre Dieu et ses créatures. Or que fait l'imam ? Il dirige les 5 prières et réalise un prêche. Il ne devrait pas le faire, il interfère entre Dieu et les fidèles. Mais pire, ce sont les fidèles qui le choisissent selon des critères de popularité. La bédé m'a complètement perdu en terminant cette présentation par un "Du coup, la modestie et le dévouement sont des qualités presque aussi appréciées que le savoir religieux ou l'éloquence". Du coup ? Il y a un lien causal là-dedans ?
Bref, le local de la mosquée (loué à la ville) doit disparaître suite à l’aménagement du quartier. Il faut donc trouver une solution de remplacement puis construire une mosquée. Gentil imam ne veut pas d'argent étranger pour la mosquée donc il faudra du temps, Méchant imam prend l'argent qu'on lui donne. Il y a discussion entre les fidèles et les femmes préfèrent la solution du Gentil imam parce que sinon, elles risquent d'être traitées comme des fidèles de seconde zone alors que là, elle peuvent assister aux prières avec les hommes (à l'étage hein, on ne va pas les mélanger non plus). Encore une fois, pas une réflexion sur le fait que dans les pays dits musulmans, la femme est une sous-citoyenne. On prend le fait comme établi et non soumis à la discussion...
On assiste aussi aux conversations avec le maire de la ville qui n'a aucun problème avec la congrégation. Bon, il n'a pas pensé à faire un nouveau local pour la mosquée dans le nouveau plan d'urbanisme du quartier ce qui aurait arrangé tout le monde mais passons. Il propose un autre local dans un quartier voisin mais les riverains ne veulent pas de musulmans "chez eux" alors que ce local servirait bien pour le club de bridge. Devant cette opposition et celle du conseil municipal ("ils veulent pas s'intégrer" etc), il reviendra sur sa première idée pour proposer un autre local mais dans la zone industrielle. Méchant imam le prend pas très bien (étonnamment, personne n'aime qu'on lui mente) mais Gentil imam accepte en voyant le potentiel du local (il est architecte).
Incidemment, un petit chantage au vote est fait lors de la première rencontre: "Vous êtes maire, je suis sûr que vous connaissez l'existence de ce qu'on appelle parfois le "vote musulman"... Nous sommes une communauté de fidèles très soudée. Oh, je ne dis pas que je pourrais leur demander de voter pour quelqu'un ! Mais bon... C'est vrai qu'avant, les musulmans, c'était presque tous des étrangers... Mais aujourd'hui, de plus en plus sont français et ont le droit de vote". Alors, je ne suis pas politique et ça va se voir, mais si on me dit ça j'aurais plutôt tendance à montrer la sortie à mon interlocuteur. Déjà, on ne me prétérite pas, merci bien, et le maire dans la bédé n'a aucun problème avec les musulmans donc cette menace ne fait aucun sens !
Au final, Méchant imam créera une école sous le statut d'association (les enfants seront inscrits au CNED) ce qui les coupera encore plus des autres citoyens alors que Gentil imam, dans le nouveau local, fait un site internet pour recueillir des dons pour la création d'une future mosquée.
J'ai du mal avec cette bédé car je ne comprends pas son message. Est-ce que c'est fait exprès pour énerver les lecteurs et donc biaisé en ne nous montrant que les côtés fermés de la religion ou est-ce que les auteurs pensent faire preuve d'ouverture d'esprit en se croyant neutres ? L'incipit est particulièrement ambigu et n'aide en rien à comprendre où les auteurs veulent en venir.
Créée
le 16 janv. 2019
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