Critique de Stéphane de AAAPOUM pour les Inrockuptibles
A ceux qui ne connaissent pas la série Love and Rockets des frères Hernandez, il vaut mieux conseiller de passer son chemin. Temporairement du moins, car il leur faudra revenir sur cet épisode fondateur que constitue l'excellent Rivière empoisonnée (nommé à Angoulême). Pénétrer l'univers « caliente » de Locas et Palomar (précédemment édités au seuil) par cette porte un peu plus complexe qu'à l'accoutumé serait prendre le risque de se décourager, égaré au milieu de multiples trames et références aux épisodes passées. Mais une fois initié, cette aventure s’avère primordiale, puisqu’au-delà de sa qualité d’écriture exceptionnelle elle lève enfin le voile sur l'enfance tourmentée de la fantasmatique Luba, figure centrale de la cité mexicaine de Palomar dont personne ne savait, jusqu’à présent, rien des origines ou presque. Plus belle que jamais, par sa plastique généreuse et son humanité désarmante, elle traverse l’histoire mouvementée du Mexique en héritant de sa part de malheur. Une victime innocente qui tour à tour voit sa famille assassinée par les milices, sa vie sentimentale brisée par les guerres de gang, tout cela avant même ses 18 ans. Mais quoiqu’il se passe l’immature demoiselle présente déjà les traits caractéristiques de sa personnalité : elle endure, elle résiste. Quelques étoiles dessinées autour de sa cheville dansante et tout est dit : de cette fausse allégresse qui l’anime sous l’emprise de la drogue, de la poésie des frères Hernandez qui illustre le malheur comme d’autres le quotidien, et de ce monde trop humain où la souffrance relève forcément toujours de l’option, mais la douleur, elle, est inévitable.