« Voilà la lune qui entre en scène, le rideau se lève, les amis, le spectacle commence ! » … Pour le commun des mortels, le parc est un jardin public animé généralement par le brouhaha joyeux d’enfants qui chahutent, courent et s’amusent, les parents à proximité. Les adultes, quant à eux, s’y détendent dans l’herbe, se promènent, bouquinent ou se retrouvent pour profiter de la quiétude que peut offrir l’espace vert. C’est un lieu de passage et de divertissement inoffensif habité de végétation plus ou moins luxuriante… Mais pour le gardien Providence, c’est un nid hanté de sombres créatures qu’il est le seul à voir. Solitaire mélancolique atteint d’un solide trouble de la rêverie compulsive, il protège les promeneurs et promeneuses, proies qui s’ignorent, des abominations qu’il côtoie.


Après la fable gothique Ornitomaniac en 2017, l’autrice de bande dessinée parisienne Daria Schmitt offre le conte onirique et mélancolique Le Bestiaire du crépuscule. Elle y rend majestueusement hommage au conteur horrifique Howard Phillips Lovecraft et à son univers peuplé de mystérieuses et effroyables créatures. Le diseur de mauvaises aventures chuchote à l’oreille de la dessinatrice et celle-ci l’entend, comme le souligne si bien Philippe Druillet, dessinateur et scénariste de bande dessinée français et ponte de la bande dessinée de science-fiction. Peut-être l’a-t-elle vu en rêve ? Dans ce nouvel opus à la graphie envoûtante, elle se fait en tout cas la fidèle héritière du maître de la littérature horrifique dont elle intègre une nouvelle dans son propre récit.


Daria Schmitt téléporte le lecteur dans un macrocosme obscur et onirique, portail entre deux mondes incompatibles. « Il y a dans l’air quelque chose que je ne connais pas ! » Quelque chose d’indicible, impalpable, se promène sur les lieux et seul Providence flaire le danger qui rôde. La malédiction du gardien est celle d’être le protecteur incompris, c’est son métier, sa mission. Beaucoup le pensent fou, excentrique ou vieux jeu, à commencer par son acariâtre et rationnelle directrice. Mais la raison humaine n’a pas sa place dans les confins de l’imaginaire.


Fatigué mais fasciné par ses visions cauchemardesques, Providence, entouré de trois bonnes fées, seniors et as du tricot et de son compagnon à poil blanc Maldoror, invite à scruter les ténèbres pour y déceler les démons et merveilles invisibles aux yeux des hommes.


La beauté du trait de Daria Schmitt guide le lecteur entre les cimes des arbres décharnés, les chemins de terre et les buissons touffus de hachures. Dans un écho aux gravures du XIXe siècle, certaines illustrations rappellent notamment le travail de Gustave Doré, autant dans le traitement du paysage que dans le détail ou dans les clairs-obscurs.


Par moments, le noir et blanc s’invite dans la couleur et inversement. Les mondes se confondent, s’emmêlent dans une mélancolie et une obscurité des paysages, de la nature. Terrées sous les pieds des innocent.e.s, « rampant sous l’écorce, dissimulé[e]s dans l’eau glauque et les craquelures sombres des vieilles pierres grises », les créatures sortent de leur torpeur diurne à la nuit tombée quand le parc est désert. Les phénomènes étranges se multiplient pourtant en journée et suscitent la curiosité des promeneurs. Leur raison les gardera bien de l’effroyable vérité. Mais quand arrivera l’heure de déloger l’humain ignorant qui les interceptera ? Et si le livre étrange sorti des eaux troubles du lac en était l’origine ? Sans compter sur les services psycho-sanitaires qui débarquent et comptent bien ne pas lâcher d’une semelle Providence et la directrice…


Habituée aux mondes étranges, Daria Schmitt signe là un coup de maître autant dans la graphie que dans la narration. Au tour des lecteurs et lectrices de plonger dans l’univers fantasmagorique de Daria Schmitt et décrypter l’âme des pages du Bestiaire du crépuscule…


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le 27 juil. 2022

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