Rick Remender est un scénariste très apprécié qui a toujours eu du mal à me convaincre. Scénariste qui s'est principalement illustré en travaillant pour Marvel, j'avoue, en tant qu'amateur de l'univers DC, ne quasiment pas connaitre toute cette partie de son oeuvre. Il s'est cependant illustré avec de nombreuses séries indépendantes publiées par Image Comics, sa réputation en France est principalement bâtie autour de celles-ci grâce au travail de publication d'Urban Comics dans sa collection "Indies". Fear Agent fut publiée, il y a déjà un certain nombre d'année par Akileos, et connut un véritable succès critique, son succès commercial est plus modeste malgré une bonne réception de la part des lecteurs. Urban Comics ayant des moyens autrement plus conséquents qu'Akileos a sauté sur l'occasion de publier les plus récentes séries indépendantes de l'auteur Black Science, Deadly Class, Low, Tokyo Ghost et enfin Seven to Eternity.
Cette dernière est peut-être la première qui reçoit des critiques légèrement plus mitigées de la part de la "presse". Toujours très apprécié, on reproche finalement à Remender de répéter ses thématiques personnelles et de finir par les rendre plus classiques. Pour autant pour moi, ses thèmes "familles, responsabilités, dictature..." sont suffisamment larges et essentiels pour ne pas y voir un défaut. Je pense que si on s'attend à des thèmes originaux et sans cesse renouvelés de la part de l'auteur, c'est à cause des univers qu'ils créent qui eux sont toujours très originaux et fouillés. Malgré tout, les thématiques intéressantes sont difficilement aussi renouvelables, si l'on souhaite finalement toucher tout le monde. Il me faut alors reconnaître la qualité constante du scénariste, l'originalité et la complexité de ses séries indépendantes. Et si j'ai personnellement peu accroché à l'univers de Deadly Class en soi, je dois reconnaître qu'ici, l'univers est assez attirant. La variété des races proposées, l'historique de la tyrannie qui y règne, permet à l'univers de fantasy proposé d'avoir selon moi l'ouverture de celui des Space-Opera. On trouve même selon moi des similitudes a priori avec l'univers littéraire de Jack Vance dans son Cycle de Tschaï.
Maintenant personnellement comme toujours avec ses séries, j'ai toujours trouvé que si l'originalité des univers est en soi louable, leur complexité s'accompagnait souvent une lecture quelque peu laborieuse. Le début "in medias res" des récits est souvent mal maîtrisé, le lecteur est balancé dans une intrigue inconnue, déjà largement débutée, et un univers entier tout aussi inconnu. La complexité est aussi visuelle, c'est à dire que presque tous les personnages rencontrés au fil de l'histoire ont un visuel original. Je n'ai toujours pas compris finalement ce que représentaient les Mosak dans cet univers. Tout semble indiquer qu'il s'agit d'une espèce, pourtant aucun ne semble partager des caractéristiques physiques. Le personnage principal, humain a priori, lui-même est un Osidis, un terme qui semble un simple nom de famille par moment, mais parfois paraît désigner une catégorie de personnes plus vaste, peut-être même liée à certains pouvoirs. La narration bien entendu commence à apporter quelques éléments de réponses grâce à certaines analepses, pourtant même les réponses que celles-ci sont censées apporter me semblent encore confuses. C'est finalement un aspect qui plait à beaucoup de personnes, qui apprécient ce sentiment de perdition, preuve pour beaucoup qu'ils s'immergent donc dans un vaste univers complexe. Je trouve moi cela très suspicieux. Ce fourre-tout suggère beaucoup mais finalement ne dit pas grand chose et ce n'est pas pour moi une obligation. C'est pourquoi je trouve que les univers de Rick Remender pèchent toujours si on les compare à ceux de Brian K. Vaughan fondamentalement tout aussi originaux mais moins dans l’esbroufe et grandissant petit à petit dans l'esprit des lecteurs. Sa série Saga d'ailleurs rend d'ailleurs selon moi bien plus marquante son originalité en gardant une mise en scène simple qui la met d'autant plus en valeur.
Le premier tome ne remplit pas donc selon moi totalement son rôle d'introduction, très important quand l'intrigue prend place dans un univers original. Cependant, je trouve la série prometteuse car elle nous livre un certain nombre de réflexions et de thématiques qui prouvent qu'il ne s'agit justement pas ici que d'esbroufes. Une analepse par exemple permet de raconter la tragédie vécue par un personnage secondaire, celle-ci n'est pas là juste pour poser vainement en place la complexité d'un univers mais permet de passer un message puisqu'elle est utilisée pour remettre en cause l'intensité de la valeur de la tragédie du héros. Une tragédie personnelle qui marqua donc le héros, mais aussi le lecteur qui y assista. Il s'agit donc ici de prendre du recul sur le ressenti du personnage et du lecteur, car on tend en effet à valoriser des tragédies personnelles sur les tragédies inconnues, éloignées. Une thématique fondamentalement intéressante. Pourquoi sommes nous plus choqué par la mort d'une personne, même étrangère, qui se passe près de chez nous que par la mort quotidienne de milliers d'innocents sur d'autres continents. De plus Remender ne se contente pas de marquer cette observation, mais développe des nuances, remet en cause l'échelle d'une tragédie.
On quitte donc un manichéisme qui pourrait agacer sans pour autant entrer dans un relativisme trop courant. Il y a bien des "gentils" et des "méchants, mais le héros lui-même doit affronter des doutes raisonnables, et ils sont ainsi présentés que l'on comprend le personnage. Certaines critiquent reprochent cependant qu'on ne s'attache pas forcément au personnage. C'est vrai que malgré l'intérêt et la proximité d'un personnage traité avec une relative subtilité, on reste émotionnellement quelque peu étranger aux tourments du personnage. Mais pour moi cela est dû simplement à la confusion que j'ai précédemment mentionné, le lecteur un peu perdu n'a pas forcément encore eu le temps de se poser pour s'attacher aux personnages bien qu'on prenne forcément objectivement parti contre le fameux "murmureur" ennemi. Il est aussi intéressant de noter que ces tourments permettent aussi d'intégrer au récit un véritable suspens. En comprenant le personnage, j'ai personnellement encore du mal à finalement anticiper ses futures décisions. Cèdera-t-il à la tentation ? On voit bien que le choix est mauvais du point de vue collectif, mais se comprend d'un point de vue individuel. Travaillé principalement en fin de tome, l'ennemi devient de plus en plus charismatique et devient véritablement fascinant. Sa capacité de manipulation, sa confiance en lui parfois paradoxale dans des situation a priori à son désavantage, le rendent impressionnant. On se questionne alors sur les plans cachés qu'il a peut-être mis en place.
Cette puissance qu'il tire de sa capacité à manipuler et de ses informations permet enfin de développer de manière intéressante, la problématique plus générale d'une tyrannie fondée sur l'espionnage, la constante surveillance, la peur qui devient paranoïa. L'ennemi n'use pas de force pour prendre le pouvoir mais n'en est pas moins tyrannique. Il ne prend même pas officiellement le pouvoir sans pour autant qu'on puisse douter qu'il le possède en réalité. De plus, les différentes explications sur sa montée au pouvoir, permette de véritablement expliquer son arrivé au pouvoir. Les parallèles avec nos sociétés et les risques qu'elle encourt sont évidentes. Cette thématique très courante dans les films, séries, comics, n'est pas toujours abordée de manière subtile nous plaçant souvent face à un monstre violent et colérique, que l'on rejettera sans nuance. Souvent aussi, si on nous explique alors pourquoi une société peut se tourner vers une telle tyrannie, le récit manque de subtilité en nous faisant croire que les masses réagissent ainsi, et intuitivement, on considère forcément alors intuitivement que la masse, c'est les "autres", mais pas nous. Le récit résout cette obstacle en nous faisant véritablement comprendre la difficulté de résister à cette tentation, en la faisant subir au personnage principal.
Rick Remender nous propose donc dans ce Seven to Eternity un univers à nouveau original et complexe sans oublier d'introduire des thématiques qu'ils commencent à développer de manière très prometteuse. Si la qualité d'écriture des personnages et des dialogues reste telle, la série promet de se révéler de qualité. Malgré tout, je ne peux m'empêcher de retrouver les écueils habituels selon moi du scénariste et de trouver qu'en tant que premier tome, celui-ci ne remplit pas totalement son rôle. Le lecteur se perd dans cette univers qui contient encore trop d'aspects confus. Au lieu de l'élargir et de le faire découvrir progressivement, le scénariste pousse certains lecteurs tels que moi à se confronter à de apparentes incohérences, probablement mieux expliqués par la suite, mais gâchant quelque peu la fluidité et le plaisir de la lecture et enfin gênant quelque peu l'attachement aux personnages. Après, le tout sera probablement très bon, mais ayant été finalement déçu par le manque de véritable intérêt de la série Deadly Class malgré ses intérêt, je ne peux m'empêcher de reste quelque peu circonspect sur la suite des événements.
Mais j'ai hâte de lire la suite et de constater qu'elle ne cesse en réalité de s'améliorer pour atteindre l'excellence.