Après la période du français Jean Léturgie plutôt correcte au scénario (Le Klondike) mais le très décevant belge Bob de Groot (Marcel Dalton), Morris accueille le suisse Patrick Nordmann pour ce Prophète.
Et contre toute attente l'ensemble est de bonne facture ! Oui étonnement, car depuis le départ de Goscinny, l'univers a nettement perdu de sa consistance pour ne pas dire de son intérêt. Il n'y a plus d'albums de très grande qualité comme la deuxième moitié Dupuis et la première moitié Dargaud. Ça malheureusement les aficionados ont fait une croix dessus. Mais, pitié, au moins des scénarios corrects où l'univers, les personnages et les références sont respectées. Juste ça. Hé bien Le Prophète fait le job.
Le sujet est osé : aborder la religion et ses excès à travers l'humour. Le tout dans un contexte Far West avec bien sûr les inévitables Dalton et Rantanplan, bah oui faut vendre. Mais cet album fait plaisir car on a à la fois de la nouveauté dans le sujet, son traitement, le personnage principal (Dunkle, un sombre prédicateur) et un univers respecté : les références ne sont pas amenées à la truelle (cf Marcel Dalton) et il n'y a pas du grotesque qui pique aux yeux (cf La Corde du Pendu). Aussi, peu d'albums consacrent autant de pages au pénitencier - 10 dans cet album au total - qui est pourtant un lieu incontournable de l'univers du cow-boy solitaire.
Les dialogues sont plutôt fins, amènent à penser et seuls les Dalton pouvaient tenter de pervertir les mormons dans leur train de vie comme dans cet album. Il n'y a pas de manichéisme : les croyants sont critiqués dans leurs excès (l'absolutisme de Dunkle, l'aveuglement du disciple Averell) mais aussi fortement gratifiés dans leur bonté (le pasteur Kragelsohn qui présente un personnage très fort, sorte de héros discret).
On pourra regretter que Lucky Luke soit autant absent, 17 planches en tout (dont 3 sur une case seulement!), certainement l'album où il agit le moins. Aussi au niveau graphique, les planches ne sont pas très variées, l'histoire se plaçant davantage sur le propos et le message que sur le spectaculaire.
Même si ce n'est pas une merveille, il serait dommage de passer à côté de ce Prophète.