Et oui, on y est enfin: la dernière aventure en solitaire (quoique...) de notre reporter préféré ! Et le moins qu'on puisse dire, c'est que le niveau est sensiblement remonté depuis L'Ile noire. Cet opus célèbre le triomphe de l'imagination à travers deux nouvelles inventions d'Hergé: La Syldavie et la Bordurie, deux pays vaguement inspirés de la Yougoslavie. Un procédé déjà employé dans L'Oreille cassée mais qui trouve ici, en quelque sorte, son apothéose: au quart du bouquin, alors qu'il commence à prendre vaguement conscience qu'une fois de plus sa vie est menacée par une bande de dangereux psychotiques, notre bon Tintin cherche à se distraire durant le vol Prague-Syldavie en compulsant une brochure touristique. Au programme ? L'histoire du pays imaginé par Hergé, résumée en trois pages de documentation factice figurant réellement dans la BD, ce qui n'est pas sans rappeler ce que fera Alan Moore des décennies plus tard avec The Watchmen. Un procédé foutrement original pour l'époque, peut-être même alors inédit.


Fort de cette base historique pétrie de tradition moyenâgeuse et de conflits avec la Turquie et la Bordurie, le voyage qui nous est proposé nous apparaît bizarrement crédible, renforcé par un dessin d'une grande qualité qui ne nous épargne pas, cette fois, une foultitude de détails, que ce soit sur l'architecture ou sur les vêtements d'apparats d'une noblesse imaginaire. A cette cohérence du fond répond une vraisemblance de scénario en ce qu'il s'appuie, comme on en a maintenant l'habitude avec Hergé, sur des évènements historiques réels: l'Anschluss, soit l'annexion de l'Autriche par l'Allemagne hitlérienne en 1938.


N'ayant toujours pas les cojones de proposer un Tintin au Pays des Nazis qui aurait propulsé le jeune Belge au panthéon des chantres de la Liberté, on se retrouve tout de même avec un récit à forte valeur symbolique: la Syldavie n'est-elle pas une gentille royauté à la belge qui se retrouve menacée par l'ambition de conquêtes d'un pays voisin ? Pour ceux qui ont encore besoin de preuves, il suffit d'observer l'avion bordure volé par Tintin au cours de son aventure et qui n'est autre qu'un Messerschmitt Bf 109 qui équipait alors l'armée allemande, ou encore le nom du grand méchant, Müsstler, réunion cauchemardesque (ou hilarante, c'est selon) des noms de Mussolini et de Hitler (mieux qu'un Boogeyman pour empêcher les mioches de l'époque de dormir, je suppose).


C'est en quelque sorte la façon d'Hergé de résister, et même s'il est à parier que les gosses de l'époque n'ont sûrement pas compris où voulait en venir le jeune auteur, il serait vain de nier le plaisir que l'on peut trouver à la lecture de cet album, qui joue assez brillamment avec les codes du récit d'espionnage. Alors oui, il y a encore quelques scènes incroyablement tirées par les cheveux où Tintin se révèle aussi balaise qu'un Iron Man mordu par une araignée radioactive (le coup du parachute, sans commentaire). Oui, c'est vrai, Tintin finit ENCORE en prison et on commence à se dire qu'il gagnerait du temps en se rendant directement à la police lorsqu'il visite un nouveau pays. Mais que voulez-vous ? Cette vieille recette fonctionne encore cette fois, une dernière fois, surtout qu'on fait la rencontre d'une certaine Bianca Castafiore, quelques grammes d'oestrogènes dans ce monde d'amitiés aussi viriles que célibataires. En plus, moi, j'aime bien l'Opéra.


Et puis, dans ce monde crayonné, il y a encore des chevaliers sans peur et sans reproche capables de faire échouer les drames historiques. Un monde où il n'y aura jamais de Guerre Mondiale parce qu'aucun dictateur ne serait assez dingue pour combattre Tintin.

Amrit
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le 31 août 2011

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