Les Amateurs par aaapoumbapoum
« Observation et interprétation ». Dès la première page, tout est dit des intentions de Brecht Evens quant à son lecteur. Ne pas rester à la surface, creuser le sens sous les couches d’aquarelles. Tout en explosion de lumières et de couleurs, la composition nourrit l’intrigue d’une multitude de renvois poétiques et politiques sur les rapports qu’entretiennent les hommes entre eux. Pour saisir pleinement, par exemple, la portée de la conversation en voiture de Pieterjan, le héros, artiste raté à la ville mais invité d’honneur d’une biennale à la campagne, avec son chauffeur, organisateur enthousiaste de l’évènement et poète à ses heures, il faut impérativement observer les anonymes qui s’amusent dans le jardin public le long de la route. Certains luttent dos au sol avec les jambes relevés, d’autres se laisser tomber en arrière les yeux fermés dans les bras d’un ami. De l’affrontement des égos ou de l’abandon à la confiance, le jardin souligne que rien n’est encore joué entre les deux protagonistes à ce moment de l’intrigue.
Brecht Evens se distingue donc par un sens personnel de la mise en scène. L’environnement, les hommes, le cadre, sont perpétuellement agencés d’une manière qui n’appartient qu’à la bande dessinée, et toujours pour faire sens. Pieterjan, artiste pour la première fois admiré, leader accidentel d’un projet artistique gargantuesque, galvanisé par un inédit charisme, excité par la perspective de séduire une jeune journaliste, devient la caisse de résonnance de l’ambiguïté humaine. Tant et si bien qu’en conclusion, lorsque tous les artistes, le fou, l’introverti, le métaphysique, le clown triste, l’enthousiaste, se réunissent autour de Pieterjan, sur le tapis, c’est le visage total et fragmenté de l’humanité qui se dessine en une image. Avec sa médiocrité (le discours simpliste sur la transcendance par l’art), sa beauté tragique (l’enthousiasme sincère) et sa finitude inéluctable (la conclusion dans l’hospice).
S; Bapoum pour les Inrockuptibles.