Les Ignorants : Récit d'une initiation croisée par Nina in the rain
Même si Étienne Davodeau regrette dans son ouvrage que les critiques de bande dessinée soient rares et qu'on ne fasse plus que chroniquer les albums, je ne peux pas m'empêcher de dire un petit mot sur Les Ignorants, qui m'a fait retrouver le plaisir de lire de la BD que j'ai perdu depuis quelques années. Et pour comprendre à quel point ça me semble miraculeux, il faut que je vous raconte une jolie histoire avec une fin un peu triste : l'histoire de ma relation avec la bande dessinée.
Ça commence enfant, comme souvent. J'apprends à lire dans Tintin grâce à un papa qui aimait beaucoup la BD. Je me concentre toutefois sur les romans lorsque je sais un peu mieux lire, ce qui ne m'empêchera pas à l'adolescence de lire Reiser en cachette sous la couette (avec une lampe de poche, c'est comme ça que c'est bon). Je sors de ma léthargie bédéphilique vers 2002 et commence à entasser les albums en même temps que les romans. Au début, je lis principalement de l'heroic-fantasy, et grâce à trois libraires d'exception (chez Expérience, à Lyon) je découvre petit à petit qu'il y a autre chose dans les phylactères. À cette époque je commence à tomber dans ce qui sera ma passion en bande dessinée : l'édition indépendante. Je lis, je lis, je me prends des baffes monstrueuses dans la figure... je deviens en 2004 chroniqueuse sur un site de bande dessinées, puis pigiste, j'écris également dans un mensuel pendant quelques années, je collabore même au journal gratuit d'une grande surface... Entre 2004 et 2009 je vis BD, je pense BD, je bois et je mange BD. De festival en interview, d'exposition en séance de dédicaces. Je lis autour de cinq mille albums pendant ces cinq ans. Mille albums par an. Une moyenne de trois albums par jour. Et pendant ce temps je continue les romans, mais un peu moins intensément. Après 2009 je continue à lire énormément mais ça n'a plus rien de professionnel. Je lis pour me faire plaisir, je suis les séries, je découvre des one-shots... Et puis un jour, je ne sais pas pourquoi, je ne sais pas comment, j'en ai eu marre. Ça s'est passé je pense fin 2009 début 2010. J'ai totalement arrêté de lire de la bd, regardant d'un air coupable les quelques albums qui restaient dans ma PAL et que j'étais incapable de lire. Indigestion totale et absolue. Plus une seule petite case, même en relecture. Toutes mes tentatives se soldaient par le même verdict : rien de nouveau sous le soleil, la BD continue inlassablement de faire la même chose sous couvert de nouveauté ébouriffante. Un album de copain, par-ci, par-là, déclenchait un plaisir, mais c'était rare.
Autant dire que le Davodeau, aujourd'hui, c'était pas gagné. Je l'ai acheté parce que bon, quand même, c'est Davodeau. Je ne savais pas de quoi il parlait, je n'avais pas prévu de le prendre à la librairie mais je l'ai vu en pile alors ... Et puis là, en rentrant, je l'ai lu. En entier, d'une traite. En hurlant de rire souvent, en m'interrogeant parfois, en prévoyant déjà les listes d'amis à qui je vais l'offrir. En particulier à une grande dame qui m'a fait découvrir des vins extraordinaires et qui riait de mon incapacité à retenir leurs noms. Dans cet album on croise deux professions que l'on pourrait croire extrêmement différentes. Un dessinateur de bande dessinées et un viticulteur. Moi je riais dans ma barbe, dès les premières planches j'ai senti où on voulait m'emmener. Les deux créateurs. La part d'inconnu et l'impossibilité de tout contrôler.
Oui, probablement, c'est là qu'on voulait m'emmener. Mais entre la première et la dernière planche, il y a un travail extraordinaire. La sensibilité de Davodeau, sa manière si personnelle de mettre en scène les personnages de ses histoires m'a emmenée tout au long de l'histoire dans un plaisir renouvelé à chaque chapitre, et surtout m'a donné envie de relire des albums de bande dessinée. Probablement pas à un rythme aussi frénétique qu'avant, bien sûr, mais je pense que je vais déjà lire les quelques survivants qui végètent dans ma PAL. Pas forcément en parler ici, ça remonte des souvenirs pas toujours agréables et, parfois, ça tient de l'écriture automatique, mais au moins apprécier le retour à ce medium si particulier qui sait me faire partir aussi loin qu'un bon roman.
Les Ignorants est un superbe livre, un exemple parfait de ce que j'aime : c'est doux, sensible, ça vous embarque pour un beau voyage en prenant garde de ne jamais vous laisser sur le côté et ça vous laisse, à la fin, des étoiles plein les yeux. Et des envies de découverte plein la tête. Jetez-vous dessus, lisez-le, offrez-le. Parce qu'au final, l'ignorant, c'est celui qui ne veut pas apprendre. Et l'initié, c'est celui qui doit présenter sa passion aux autres et leur montrer la joie que l'on peut en tirer.
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