Un récit dominé par une quête de l’extraordinaire et par l’abolition des frontières.
Par Nicolas Tellop
À un moment, dans The Darjeeling Limited, le train se perd : les personnages n’ont aucune idée de l’endroit où ils se trouvent. Épisode hilarant et ô combien surréaliste qu’on se remémore inévitablement à la redécouverte des Miettes. La bande dessinée s’ouvre sur une scène qui donne immédiatement le ton : deux frères siamois patibulaires tentent de détourner une locomotive, au grand dam du mécanicien qui s’évertue à leur expliquer l’impossibilité d’une telle manœuvre. C’est en vain qu’il tente d’en appeler au bon sens et aux inaltérables lois de la physique qui font qu’un train ne peut être conduit en dehors de ses rails. Les deux terroristes lui rétorquent en substance que quand on veut on peut, et se réfèrent au libre-arbitre de Saint-Augustin pour le prouver. Sur ce point en particulier, Les Miettes s’écarte du Darjeeling Limited, car tandis que chez Wes Anderson l’égarement est fortuit, avec Peeters et Al Rabin il est clairement recherché.
Sans véritable début, si ce n’est in medias res, et sans fin proposant autre chose que le recommencement de l’histoire, Les Miettes raconte le projet hasardeux d’un baron liechtensteinois rêvant de restaurer la grandeur de son pays. Avec une équipe déjantée, il tente ainsi de détourner sur Vaduz un train avec à son bord un alchimiste ayant réalisé le grand œuvre – mais il faut compter avec l’irruption de bandits saint-marinais, lancés à leur poursuite. Cette bande dessinée a vécu une aventure éditoriale assez inhabituelle (le scénariste en raconte les rebondissements dans une truculente préface, et ces quelques lignes valent déjà en elles-mêmes leur pesant de cacahuètes), et elle méritait bien mieux que les 900 exemplaires initialement tirés par les éditions Drozophile en 2001. On ne peut donc que saluer le travail d’Atrabile pour rendre le livre de nouveau disponible.
Mené tambour battant, Les Miettes est un huis-clos absurde dont la mécanique consiste à arpenter continuellement et en tous sens le train, de la locomotive jusqu’au wagon de queue, et à déployer à chaque passage des trésors de cocasserie nonsensique. L’unité du décor et le soin apporté aux dialogues enrichissent le récit d’une dimension théâtrale brillamment assumée par le trait de Peeters. Le dessinateur parvient à donner une matière à ce qui aurait pu ne paraître qu’artificiel, et joue sur une représentation dynamique des corps parfaitement maîtrisée, ainsi que sur une expressivité des visages qui lui est déjà caractéristique. (...)
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