Les Noceurs par aaapoumbapoum
Selon l’adage, « les absents ont toujours tort ». Or si pour une fois le tort revenait aux « présents ». A ceux qui persévèrent dans l’attente vaine de l’autre, qui guettent la chaise vide trônant au milieu de leur salon. La fête est ailleurs, dans une boite de nuit hier encore désuète mais aujourd’hui à la mode, le Disco Harem. Gert, excité par la soirée qu’il organise dans son appartement, l’aurait su si l’espoir ne lui embrumait pas les yeux. Son meilleur ami ne viendra pas, il a mieux à faire.
Ainsi commence Les Noceurs, époustouflante fable sur l’individuation, sur le devenir autre qu’éprouvent hommes et femmes à la sortie de l’adolescence, alors qu’il est l’heure de se défaire des modèles d’antan, d’abolir les vieilles compétitions, et de s’affirmer contre une marée sociale qui attend tout de vous sauf ce que vous êtes vraiment. En une scène d’ouverture, brillante, Brecht Evens annonce tout ou presque de sa vision des relations humaines, ce qui est d’autant plus étonnant que l’auteur a vingt trois ans et fait déjà montre de nuances et de maturité.
La peinture de mœurs, cependant, se distingue surtout par son esthétique d’une beauté et d’une cohérence rare. Non seulement les aquarelles étincellent d’originalité, mais cet emploi de la couleur se prête, se dévoue même, tout particulièrement à l’illustration du discours. Chaque protagoniste, par exemple, s’incarne en une teinte, un code qui recouvre la tenue, la peau, ou la voix. Il devient dès lors inutile de représenter tous les personnages, encore moins d’entourer la parole d’une bulle, pour comprendre qui s’exprime. La couleur s’inscrit autant dans une poésie visuelle que dans une mécanique narrative qui autorise une variété d’inventions dans la mise en scène des relations humaines. En un sens, elle enrichit même l’imaginaire des relations sociales.
Les scènes de foule, de boite de nuit, de transport en commun, ou de rue, s’incarnent en tableaux enivrants, regorgent de détails et ouvrent le plus souvent sur un imaginaire délirant. Elles invitent à une danse, une transe qui frise parfois l’extase et conduit à regarder le monde sous un autre œil, effervescent. A lire Brech Evens, nul ne doute plus que la vie est une fête à laquelle nombre d'entre-nous sont conviés. Mais pas tous.
S; Bapoum pour les Inrockuptibles
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