Comment la Révolution s'est faite (et comment le Éric Zemmour de 1789 n'aurait rien pu faire contre)

Cette BD à la particularité de représenter la Révolution à la fois du point de vue du Tiers État faisant la Révolution armée et "anarchiquement" organisée dans la rue, et de celui de la Révolution institutionnelle lors des États généraux (avec la formation de la future Assemblée nationale).


On a aussi une intrigue avec un enfant pauvre des rues de Paris, une employée de taverne devenue révolutionnaire, un noble breton rejoignant les milices citoyennes de Paris et un paysan fort comme un bœuf contre les troupes royales.


Et parmi les antagonistes, on a un véritable équivalent de 1789 du polémiste Éric Zemmour, mais ici chantre du royalisme et écrivain contre-révolutionnaire : Legrait, auteur du journal Le Lys Ardent (qui existe encore et se fait toujours le chantre du royalisme).


Ce Legrait est vraiment le portrait physique et moral craché d'Éric Zemmour : les mêmes grands yeux pleines de frustration et de mépris pour tout ce qui n'est pas comme lui, le même nez, la même forme du visage, les mêmes cheveux noirs dégarnis (sous sa perruque blanche du XVIIIe siècle), et une incapacité à analyser les mouvements sociaux autrement que sous un point de vue réactionnaire et à côté de la plaque.


(Edit)


Apparemment, ce choix ne serait pas anodin, puisque Zemmour a exalté dans Destin français la monarchie au prétexte qu'elle est la seule à avoir façonné la France, tout en conspuant les historiens "de gauche", qu'il accuse de défendre la République "universelle" (sous-entendu "multiculturaliste" qu'il déteste tant) au détriment de la République "française".


Le tout en invitant aux historiens un devoir de glorifier la monarchie, devoir qu'ils n'ont pas puisqu'ils n'ont jamais vraiment dit que la monarchie était une mauvaise chose. Je ne sais pas dans quelles écoles ou universités est allé ce Monsieur Zemmour, mais elles devaient être sacrément mauvaises au point qu'il généralise tout ce qui ne pense pas comme lui comme étant de la "pensée unique" dictatoriale, néfaste et divergente.


Mais encore une fois, il oublie comme Legret que la monarchie s'est disqualifiée en ne prenant pas en compte l'importance de l'économie (en virant les économistes réformistes), oubliant ainsi les intérêts du peuple au profit de privilégiés qui ont longtemps tenté de justifier leur pouvoir néfaste à l'aide de fausses sacralités. Ils oublient aussi que la monarchie molle et bedonnante du XVIIIème siècle n'est pas la glorieuse monarchie d'avant, qui protégeait le Royaume et ses sujets. Tout comme la violente République de 1789 n'est pas la République plus modérée de 2019.


Si certes les "fautes" de Louis XV et Louis XVI ne devraient pas effacer les gloires des rois passés, les fautes de la 1ère République s'effaceront jamais les bienfaits de la République moderne. Au fond, Legret et Zemmour sont juste mécontents du changement et du caractère inclusif de la démocratie, préférant un système qui exclut certains "indésirables" et où les "médiocres" doivent juste obéir et la fermer. Ils ne valent pas mieux que les caricatures de "Républiques diaboliques" qu'ils véhiculent tant.


Il n'y a qu'un seul vrai Roi encore aujourd'hui, et ce ne sont pas les prétendants actuels du trône, mais le fisc, chose vraie autant en 1789 qu'en 2019


(Fin de la partie éditée)


Bien sûr, lui aussi se croit plus important qu'il ne l'est et pense pouvoir empêcher à lui tout seul un mouvement de grande ampleur au prétexte qu'il serait néfaste (comme Éric Zemmour contre les mangas et les marches féministes), sans se demander une seule fois si le pouvoir en place n'était pas corrompu, incompétent ou disqualifié. Et quand il n'y arrive pas, il blâme les autres sans se douter qu'ils sont, comme lui, dépassés par les évènements.


Mais ce Legrait n'est pas le plus important ; le peuple est le principal acteur du renversement des choses et prend son destin avec la Prise de la Bastille, tout comme l'Assemblée nationale supprime les privilèges pour ainsi lancer la régénération de la France.


Révolution tome 1 arrive à mélanger réalité et phantasme historique, mais sans faire de l'ombre sur les exactions de certains sans-culottes (pillages, décapitations, injures, violences) tout en montrant que les troupes royales, la noblesse et Louis XVI ont jeté le feu aux poudres.


La situation dans cette BD semble presque être la même en 1789 qu'en 2019 avec la crise des gilets jaunes, tantôt considérés comme de violents anarchistes, tantôt comme les nouveaux pères fondateurs de la France face au pouvoir d'un Macron jupitérien.


Quant à Legrait, il a droit à sa juste punition : ses affiches censées retourner le peuple contre "les vrais acteurs bourgeois de la Révolution, intéressés plus par l'argent que par leurs compatriotes" n'ont pas été placardées, n'empêchant pas ainsi la prise de la Bastille ni l'émancipation du peuple. Il est même désavoué par les royalistes qui voient en lui un excité et un incapable.


Il montre même son vrai visage quand il essaye d'étrangler une femme sans-culotte, qui elle-même voulait l'empêcher de faire tuer une figure de la Révolution. Legrait est comme Zemmour : un homme employant la violence verbale et morale, se croyant seul vrai bon représentant de l'ordre, de la morale et de la France, mais s'avérant en fait n'être qu'une petite brute frustrée. Il n'y a qu'à voir se que dit Legrait lors de l'étranglement de la femme :



Je ne vous enverrais pas à la Salpêtrière. Je vous enverrais à l'échafaud !



Mais il échoue et est jeté dans la Seine... et dans l'oubli (il se noie)...


J'en connais un qui ferait mieux de se calmer, d'être plus subtil et de moins déraper s'il ne veut pas finir pareil en énervant les gens révoltés pour de légitimes raisons... ;)


Comme quoi, on n'arrête pas si facilement la Révolution.

Darevenin
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le 26 janv. 2019

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Darevenin

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Dommage !

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Darevenin
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