Lucille par Nina in the rain
Lucille hait sa mère trop protectrice. Arthur aime son père alcoolique et violent. L'un comme l'autre souffrent de cette situation. Arthur s'en sort en jouant au sataniste, Lucille quant à elle sombre dans l'anorexie. Lorsqu'ils se rencontrent, tout pourrait rater, et pourtant c'est le début d'une histoire d'amour qui les mène de Paris à la Toscane, de l'adolescence à l'âge adulte.
Comment traiter un sujet aussi difficile que cette fugue de deux adolescents malheureux sans jamais tomber dans le pathos ni le larmoyant ? C'est la tâche à laquelle s'est attelé Ludovic Debeurme, et il faut dire qu'il a réussi de manière éblouissante. Les personnages sont juste esquissés, on ne cherche pas à les préciser de trop, on ne fait pas d'analyse psychologique. Les faits, juste les faits. Les voix-off, une fois Arthur, l'autre fois Lucille, ne font qu'énoncer des faits, sans chercher à les expliquer, et c'est probablement une des forces de cet album. Le lecteur connait ces comportements. Il sait les expliquer tout seul. Et Ludovic Debeurme évite l'écueil de la prise de position, du jugement de valeur de l'adulte sur les ados paumés. Il reste au bord, observateur patient, et permet au lecteur d'entrer tout entier dans l'histoire, d'être tour à tour Lucille et Arthur.
Graphiquement, le maître mot est dépouillement. Oubliés le gaufrier, le quota intangible d'images, les contraintes de la BD dite « classique ». La page est libre. Elle respire. Tout comme le scénario, venu intégralement au fil de la plume et sans storyboard ni texte préliminaire. Ludovic Debeurme croque d'un trait ses personnages, sans être pointilleux, mais avec une précision impressionnante. Le dessin est simple, comme les personnages. Et tout aussi fort qu'eux. Les postures, les expressions, tout est parfaitement rendu dans une économie de moyens qui, comme la distanciation du narrateur, force le lecteur à entrer dans le récit.
Lucille est un album dont, au premier abord, on ne sait pas quoi penser. Il est obsédant, on n'en sort pas. On y repense. Les personnages ne laissent pas réellement l'esprit en paix, c'est un album qui touche, qui remue le lecteur. La marque des chefs-d'œuvre, probablement.
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