Du Complexe de Dieu jusqu'à la Cité d'Émeraude

Callée entre les secousses cosmiques que furent 2001 A Space Odyssey et Star Wars, voici l'épopée de Warlock par le talentueux Jim Starlin, et une des plus grandes réussites comics des années 70.




  • ET SI LES LES ORIGINES D'ADAM WARLOCK VOUS ETAIENT CONTÉES ? (Marvel Masterworks Warlock Volume 1 et brièvement narrées au début du volume 2)




Il était une fois... une équipe de savants improbes qui souhaitèrent
engendrer un nouvel être parfait. D'un cocon bizarre naquit donc
"Him", mature et dôté de grands pouvoirs, mais vide de toute
l'expérience nécessaire à son plein épanouissement... Toutefois, ce
demi-dieu à la peau dorée put rapidement développer sens moral
et émotions, au contact de la très touchante Alicia Masters.
Les évènements s'embriquant, Him finit malgré tout par déchaîner
son terrible pouvoir sur ses créateurs, pour ensuite s'exiler,
un temps, loin du sol souillé qui l'a vu naître.



Ultérieurement, Him fut contraint à une nouvelle échappée spatiale
après une confrontation aussi futile que brève avec le puissant Thor.
Battu, il se révèla néamnoins plus noble et plus pur que le dieu du
Tonnerre. Mais une fois encore, Him s'isola des afflictions
extérieures dans son cocon, un processus régénérateur qui lui
permet d'en sortir à chaque fois plus mûr, mais aussi plus humain.



Notre étrange voyageur rencontra par la suite le High Evolutionary,
créateur impudent d'une copie conforme de la Terre cependant épurée de
toute agressivité. Une créature dissidente nommée Man-Beast y prenant
pourtant un vil plaisir à chahuter cette fragile utopie, Him se
proposa vaillamment d'interférer. Et pour l'aider dans sa tâche, il
lui fut confié la Gemme de l'Âme, joyau qui vampirise la force vitale
des adversaires, objet convoité qui est aussi l'une des fameuses
Gemmes de l'Infini... Si ses excès d'orgueil amenèrent Him à être
crucifié, il ressuscita assez vite et assez puissant pour enfin
éradiquer le mal. C'est ici que Him devînt le sauveur providentiel
d'une humanité, c'est ainsi qu'il devînt le dénommé Adam Warlock,
et c'est à partir de là que prend place le récit que vous allez vivre.
Et ça démarre à cent à l'heure sur le sol escarpé d'une lointaine
planète, avec la traque d'une infidèle par la terrifiante Église
Universelle de Vérité, un véritable empire dirigé par l'énigmatique
Magus.




Roy Thomas et Mike Friedrich laissent ainsi en plan un Adam Warlock muré dans des délires messianiques, jusqu'à l'arrivée du dessinateur et scénariste James P. "Jim" Starlin.
Sorti impérial de son court et néanmoins mémorable run sur Captain Marvel, l'auteur cosmique de Détroit s'accapare cette création du duo Lee/Kirby pour en faire un tout résolument plus ambitieux.


Autant le dire d'emblée : vous pouvez faire l'impasse sur le tome précédent. Non pas que ce dernier soit foncièrement mauvais (la dernière partie étant même très bonne), juste pas nécessaire pour aborder ce tome 2 qui lui est de plus nettement supérieur.



L'ouvrage collecte les épisodes suivants :



  • Strange Tales #178-181 : Warlock affronte l'ombre d'un adversaire insaisissable.

  • Warlock #9-15 : La destinée est une petite renarde à qui on peut difficilement échapper.

  • Marvel Team-Up #55 : Aux côtés de Spider-Man et du Jardinier, Warlock fait face à l'Etranger.

  • Avengers Annual #7 : Un ancien allié dévoile son jeu et menace les étoiles.

  • Marvel Two-In-One Annual #2 : Suite directe du numéro précédent, ici se joue la sublimation.


Tout cela a été publié sur notre sol dans les revues Étranges Aventures n° 54 à 59, L'Araignée (LUG) n° 6, puis Strange Spécial Origines n° 244 et 247.



Starlin puise donc sans ambages dans ses obsessions, donnant au personnage d'Adam Warlock une dimension toute autre avec, cette fois-ci, des aspirations, une forte personnalité, des relations sociales ainsi qu'une toute nouvelle destinée.
La destinée étant par ailleurs un des thèmes fondamentaux de ce run puisqu'après avoir fait de Captain Marvel un guerrier se transformant petit à petit en une sorte de divinité cosmique, pour Warlock, Starlin avait en main un messie et décida d'en faire un schizophrène paranoïaque cherchant à échapper à son inéluctable devenir. Warlock était presque un dieu, il était donc intéressant d'en faire un homme.
On retrouve ensuite assez promptement la thématique de la dualité, non seulement personnifiée par les entités cosmiques que sont Chaos et Order, mais aussi, et essentiellement, par le héros lui-même. Et ce dualisme protéiforme chez Adam Warlock se compose de trois branches. Tout d'abord psychique, avec cette envie coupable et irrépressible d'aspirer l'âme des assaillants, comme pour mieux remplir la sienne. Ensuite physique avec l'effet miroir que lui renvoie crûment ses adversaires. Et enfin métaphysique, en s'attaquant à une personne qui le détruira forcément.
Cela nous amenant à un autre thème majeur abordé qui est celui de la rédemption. A mesure que l'histoire défile, on voit en effet Warlock évoluer en pleine quête gnostique ; ce dernier cherchant à purger ses actes passés et à venir à travers le sacrifice même de son existence. On peut dès lors parler de suicide cosmique, ce qui confère au récit une haute teneur mystique.
L'ampleur d'une telle démarche résonne directement avec la mégalomanie des personnages rencontrés, tout en développant en parallèle une réflexion docte sur le pouvoir. Car Warlock subit malgré lui l'influence de ce qu'il réprouve. On repense alors à ces quelques mots de Nietzsche qui disaient "à qui trop combat le dragon devient dragon lui-même". Un engrenage où le Yin résiste tant bien que mal au Yàng.
Cette mégalomanie, l'auteur la pousse également jusque dans le traitement de ses planches. Là où Captain Marvel était un héros archétypal de source antique, Warlock serait donc de source biblique. Quoi de mieux alors que de s'inspirer des oeuvres de la Renaissance florentine avec cette fascination du sacré, de la mort et du corps humain pour sublimer les instants tragiques ? Il le prouvera magistralement à l'occasion d'une planche de l'épisode #10, allant jusqu'à créer sa propre Pietà aux quatre figures. Starlin ira même jusqu'à utiliser la bichromie sur ces passages symboliques pour renforcer l'impact du discours.
Il est par la même intéressant de relever cette obsession du sacré alors que la religion est sévèrement fustigée dès les premières pages du run (voir avec quelle violence use L'Église Universelle de Vérité pour asseoir son ordre). Ainsi, non content de détourner certains codes et concepts super-héroïques, Jim Starlin s'attaque au culte et carresse le divin.
Mais là où Starlin frappe le plus fort, c'est peut-être dans l'insinuation du doute qui grandit à mesure que le lecteur avance dans l'histoire. Le doute dans la quête identitaire de Warlock, le doute à travers les réalités qu'il traversera, le doute sur la nature même du personnage.
Avec ces incessants passages dans les réalités virtuelles, temporelles, dimensionnelles - bien avant la marée Matrix et sûrement inspirés des romans de Philip K. Dick avec ses simulacres de réalité - on vient à se demander si Warlock est bien là où il est censé être. Surtout lorsque ledit protagoniste rencontre des personnages symboliques tous plus étranges les uns que les autres. On songe notamment à ce requin spatial, à cette parodie de tribunal gorgé de créatures grotesques (un oeil géant, une bouche démesurée sur pattes, des personnages sans visage, et en tête de gondole cet énorme faciès carapacé affublé de deux paires de bras ridicules), ou encore à ce compagnon de voyage qui n'est autre qu'un... troll (qui sera par ailleurs la bouffée comique de l'univers dépeint). Ce n'est donc peut-être pas un hasard si un des épisodes se nomme "A Trollish Tale!". Tout comme ce n'est peut-être pas un hasard si la saga semble avoir été construite comme un conte pour adulte avec sa conclusion imparable.
En résulte un voyage fabuleux sous forme d'odyssée intérieure, qui nous rappelle étrangement celui de Dorothée dans le film Le Magicien d'Oz. Une analogie où Warlock serait par conséquent la clef des rêves adolescente, Magus incarnerait le Magicien imposteur, et la Gemme de l'Âme correspondrait à la Cité d'Émeraude ...
C'est alors tout l'Univers Marvel qui pourrait être interprêté comme une projection schizophrène de l'esprit d'Adam.
Plus loin encore : Adam Warlock lui-même, ne serait-il pas finalement devenu l'avatar direct de l'ambition du scénariste ? On pense alors à Grant Morrison avec ses constructions en rubik's cube (Animal Man, The Filth), qui reconnaitra l'influence de Starlin.


Dans ces pages, il y a donc une espèce d'amusement constant de la part de Starlin à détourner les clichés et les concepts. Il plonge allègrement dans l'extravagance avec cette cosmogonie aux lignes inspirées et référencées ; des références fort bien de son époque qu'il brasse à foison, avec un indéniable talent. Cela va des inévitables et avouées influences comics tel que le puissant Jack Kirby's "Fourth World", où le vilain Darkseid sera habilement pastiché en un personnage se déclarant comme "the dark side". Mais aussi vers les créations imaginaires et objectivistes de Steve Ditko ; Starlin ne considèrant pas "ses" personnages somme toute manichéens, mais comme des êtres composés en nuances de gris. L'auteur dédicacera d'ailleurs l'épisode des "1000 clowns" à son maître spirituel, avec un environnement fou rappelant effectivement certaines escapades dimensionnelles du Dr. Strange.
Mais il serait à l'avenant juste de rappeler que ce maraud de Starlin pioche aussi sans vergogne dans le célèbre cycle du Champion Éternel de Michael Moorcock (Elric, est un puissant roi-sorcier ambigu, dont la vitalité dépend de son épée absorbeuse d'âmes : la Stormbringer. Il est le pion de forces cosmiques nommées Ordre et Chaos, et arbore une couleur de peau inhabituelle...) Une scène très forte (puisant également ses racines dans l'anneau de Sauron) exploite d'ailleurs la métaphore de l'addiction quand Warlock se sépare quelques instants de sa "précieuse" Gemme de l'Âme ...
Les veines saillantes de la saga sont ergo parcourues d'heroic fantasy, de l'heroic bien fantasy au milieu des étoiles ... ou ailleurs.



Starlin a brillamment relevé le défi de la succession en fournissant une intrigue forte, profonde, qui se révèle palpitante dès les premiers instants. La lecture engagée, on bout vraiment de voir comment Warlock va se sortir de ses péripéties ; l'auteur sachant alterner instants philosphiques, rebondissements shakespeariens et scènes d'action avec une classe folle (un brin phraseuses certes, mais cela sied tellement à toute cette théâtralité divine). L'affrontement avec les Black Knights, par exemple, où quand un titan fou explique la vie à Warlock à grands coups d'apophtegmes dans la gueule : ça donne un moment d'anthologie assez grandiose. Mais Starlin sait aussi multiplier univers SF délirants et personnages charismatiques, ce qui octroye à l'aventure un intérêt constant. Et effectivement question charisme Warlock fait un sacré bond en avant ! Jim Starlin en a fait un personnage désormais aussi cérébral que physique, complexe dans son approche de la vie, et dont la psychologie se développe au gré des coups du sort et des choix cornéliens. A tel point qu'il devient une véritable bombe en gestation, et ce à juste titre.


Si une bonne première partie du récit repose sur l'identité de la némésis du héros, la suite est plus éclatée avec une tension retombant quelque peu. Toutefois, en bon technicien du récit qu'il est, l'auteur continue d'injecter situations démentes ainsi que vilains de premier choix, garantissant une lecture savoureuse. La saga connait tout de même un passage périclitant avec un Marvel Team-Up écrit par Bill Mantlo et passablement dessiné par John Byrne, finalement peu à l'aise avec les fièvres cosmologiques d'autrui. Bien heureusement le dernier acte est de plus haute tenue, avec le retour à la barre du capitaine Starlin pour un clash final qui mettra le petit monde Marvel en ébullition.


Concernant la partie graphique, le trait de Starlin apparaît immédiatement puissant et agréable ; l'auteur usant d'angles et de poses qui glorifient sans complexe le corps humain. On retrouve alors toute l'influence de ses recherches sur la Renaissance artistique.
Quant à la mise en scène, elle se révèle chiadée. L'artiste diversifie les cadrages et effets de cases quelles soient en bandes, superposées, jouant de mises en abysme, déconstruites, parfois même en planche chronologique... On regrette toutefois quelques vignettes un peu en dessous, sûrement bâclées par manque de temps.
Enfin l'encrage, assuré par Starlin lui-même ou comparses, sait de son côté varier d'intensité pour mieux accompagner la charge émotionnelle et pesante des situations. Fond et forme se sustentant l'un l'autre.


In fine, en refaçonnant Warlock de la sorte la mégalomanie de Starlin éclate. Un trait qu'on lui pardonnera bien volontier au vu du résultat plus que probant. L'auteur décapsule donc sa vision propre de la vie et pose au passage les bases de tout un pan cosmique de Marvel appuyé par les qualités graphiques et narratives de ses récits. En somme, un parangon du genre.


Conte philosophique, tragédie cornélienne, space opera flamboyant, déballage de références, rafle créative... "Warlock" est tout cela à la fois. Ne serions-nous pas alors en présence de la plus grande épopée cosmique Marvel ? On est bien tenté de répondre par la positive. Dès lors, on se met à rêver d'adaptations cinématographiques aboutissant à Infinity Gauntlet, autre point culminant de l'oeuvre de Starlin...


Pour les gourmands, sachez que le recueil est enrichi par des sketches, des couvertures, quelques biographies, et surtout des planches magnifiques de l'"épisode perdu" ; le tout baignant dans une reproduction exceptionnelle qui offre une toute nouvelle ampleur aux dessins. Les Marvel Masterworks reliés sont assez chers, oui, mais ce sont des produits de standing, et celui-ci en particulier est essentiel.


En clair : Lisez-le, par Odin !




Bonus track #1 : Pouvoirs et aptitudes



En plus de son physique d'Apollon, Adam Warlock possède agilité, endurance et résistance dans des proportions surhumaines. De même qu'il lui est possible, si gavé d'énergie cosmique, de soulever ou presser pas loin de 40 tonnes bien tassées (en comparaison, la force déja herculéenne de Spider-man est évaluée aux alentours de 10-15t). Cette formidable énergie cosmique notre super-héros doré la manipule un peu à la manière d'un Surfer d'Argent pour, par exemple, libérer de puissants rayons d'énergie à travers ses mains, qui défriseront plus d'un ennemi.
Warlock est aussi très à l'aise dans les airs, puisqu'il peut voler à des vitesses supersoniques en atmosphère et voyager dans l'espace sans assistance respiratoire à des allures encore plus folles.
Ensuite, cet être qui est en phase avec une certaine conscience cosmique possède également des pouvoirs téléphatiques, ainsi qu'un bon degré d'intuition. Et en de rares occasions (en cas de blessures gravissimes, par exemple), il est capable de tisser rapidement autour de lui un cocon régénérateur encore aujourd'hui bien mystérieux ...
Quant à la Gemme de l'Âme qu'il détient, il peut l'utiliser à différentes fins, à commencer par l'absorption de la force vitale.


A noter enfin, qu'au fil de ses pérégrénations Adam s'est forgé une forte expérience de combattant à mains nues, et se révèle en outre un philosophe autodidacte accompli.


Source : Marvel




Bonus track #2 : Accompagnement musical



Parce qu'un bon space opera sans musique ce serait un peu un plat de makizushis sans otoro, voici quelques suggestions musicales :



Mais peut-être préférerez-vous lire en silence ; lâché dans l'immensité de l'oeuvre et vous offrir le meilleur des vertiges.


Et +1 point de karma just for U, pour avoir subi cette logorrhé ;)

MilOvni
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le 18 juin 2011

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MilOvni

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