Dans un monde qui ressemble au nôtre, Monitor, personnage énigmatique portant toujours un casque, est investi d’une lourde mission : veiller à l’équilibre du monde en fermant les entreprises jugées néfastes. Car Monitor le sait bien, une civilisation extra-terrestre a pris le contrôle de la Terre. Ailleurs, un détective enquête sur des immeubles qui disparaissent du jour au lendemain…


Grâce aux Editions Tanibis, Chris Reynolds, auteur britannique adulé de quelques initiés, est pour la première fois publié en version française. « Mauretania, une traversée » est une anthologie de 300 planches publiées initialement dans les années 1980-1990 au Royaume-Uni, qui avait été retenue dans la dernière sélection officielle du Festival d’Angoulême, dans la catégorie « Patrimoine ».


Si ce recueil d’histoires pour le moins étranges risque de dérouter les néophytes, il ne peut laisser indifférent. Pour beaucoup, la première réaction ira du « What the fuck » rigolard au scepticisme agacé. Et on peut le comprendre, car ce n’est pas ce qui se fait de plus accessible dans la bande dessinée. La meilleure façon d’aborder l’objet, pour les plus curieux, sera sans doute de lâcher prise et d’accepter le fait de ne pas tout comprendre. « Mauretania » est une œuvre particulière, certes, mais qu’il serait trop facile de jeter aux orties sans autre forme de procès. Si les aficionados considèrent Reynolds comme un génie, ça ne doit pas être sans raison.


Le moins que l’on puisse dire, c’est que dès les premières pages, cet ouvrage produit d’emblée une certaine fascination. De plus, ces histoires courtes, qui se lisent rapidement, tiennent plus de la rêverie poétique que du pensum fastidieux. L’action — si l’on peut dire — se déroule dans une Angleterre provinciale qui ressemble à n’importe quel autre endroit sur Terre. L’univers intemporel de Reynolds s’inscrit dans un surréalisme imprégné de science-fiction des années 60, avec un héros récurrent et sans pouvoirs particuliers, Monitor, qui dissimule son visage sous un casque, tel un Daft Punk avant l’heure. On pourrait penser à « La Quatrième Dimension » si la narration était moins décousue, sans doute parce que selon son auteur, celle-ci passe au second plan. Les protagonistes semblent en effet aux prises avec des événements qui les dépassent, sans corrélation les uns avec les autres, et la linéarité apparente du récit s’entrechoque très souvent avec des déviations temporelles qui semblent dénuées de sens. Peut-être un miroir de notre monde que l’on voudrait cohérent mais qui parfois nous échappe dans sa marche aléatoire.


Dans « Mauretania », les personnages sont des silhouettes lunaires qui se cherchent comme dans une partie de cache-cache métaphysique, dont on ne comprend pas les tenants et les aboutissants. Reynolds possède une mythologie bien à lui avec ses propres codes, dont il ne nous livre rien, renforçant l’aura de mystère entourant ce drôle de « récit » dont les textes sont à l’avenant. Mais l’auteur se moque bien de notre frustration, sa seule préoccupation étant peut-être de nous intriguer, et par extension de nous interroger. Il ne cherche pas non plus à nous éblouir par son dessin en noir et blanc, au trait gras, parfois peu lisible, lequel compense ses imperfections par un rendu graphique réussi, auquel participe l’omniprésence du gaufrier de neuf ou quatre cases aux contours épais, faisant contraste avec l’élasticité narrative.


Ainsi, il est assez difficile de dire si l’on a aimé « Mauritania » mais là, pas question d’émettre un jugement à l’emporte-pièce. Il y aura suffisamment de commentaires négatifs de la part de ceux qui ont pour habitude de rejeter ce qu’ils ne comprennent pas. Cette œuvre divisera, c’est certain, et donnera lieu à des avis tranchés. Faut-il être aussi perché que son auteur pour l’apprécier ? Faut-il être intello ou snob ? Le mieux est de découvrir soi-même cet ouvrage atypique, qui est plus une affaire de sensation que de compréhension. Et là, tout sera possible. Pour le dire simplement : on aimera ou on n’aimera pas !

LaurentProudhon
5
Écrit par

Créée

le 1 mai 2021

Critique lue 43 fois

Critique lue 43 fois

Du même critique

Les Pizzlys
LaurentProudhon
9

Dans la peau de l'ours

Après avoir obtenu la récompense suprême à Angoulême pour son exaltante « Saga de Grimr », Jérémie Moreau avait-il encore quelque chose à prouver ? A 35 ans, celui-ci fait désormais partie des...

le 23 sept. 2022

14 j'aime

Le Dieu vagabond
LaurentProudhon
9

Le vin divin du devin

Avec cette nouvelle publication des éditions Sarbacane, préparez-vous à en prendre plein les mirettes ! De très belle facture avec dos toilé et vernis sélectif (ce qui n’est pas surprenant quand on...

le 26 déc. 2019

8 j'aime

La Petite Lumière
LaurentProudhon
8

Le trépas est un trip

Dans une région isolée qui pourrait être la Corse ou l’Italie du sud, un vieil homme a choisi de s’installer dans un hameau désert pour y vivre ses derniers jours. Chaque soir sur la colline d’en...

le 18 mai 2023

7 j'aime