Chabouté s'attaque à l'adaptation de la créature marine la plus mythique de la littérature américaine. Sans ressasser une histoire mainte fois adaptée dans différents formats (film, série, bande dessinée), l'auteur se saisit du roman de Melville pour y appliquer sa propre vision de l'histoire et de ses personnages. Ainsi on retrouve un Achab vieillissant, à fleur de peau, dégarni et scarifié, dont l'obsession pour le cachalot n'a d'égal que son tempérament plus instable que l'océan. Starbuck, le second du capitaine, semblant être le seul à entrevoir la folie de ce dernier, prévient ainsi son supérieur :
"Je ne vous demande pas de vous méfier de moi, vous ne feriez qu'en
rire. Mais qu'Achab se méfie d'Achab ! Méfiez-vous de vous-même,
vieillard !".
Plus que jamais, le dessin gras et l'absence de couleur sont au service du récit. Tout n'est que visages creusés, mains abimées, flots rugissants, horizon infini et fanatisme ambiant. Les chapitres sont séparés par des tableaux inspirés par des passages choisis du roman.
Enfin, si Chabouté adapte l'histoire au format de la bande dessinée, le coeur bouillonnant du récit, le symbolisme qui fait de Moby Dick ce qu'il est, reste intact et palpitant. Le grand cachalot reste une allégorie représentant le dernier "blanc" sur la carte de l'Ouest sauvage, le dernier espace inconnu que l'homme traque sans relâche. Le déluge de références bibliques ne manque pas ; la frontière entre l'homme et l'animal se brouille. On dit oui, on dit bravo.
On dit Monsieur Chabouté.