Noise, tome 1
7.1
Noise, tome 1

Manga de Tetsuya Tsutsui (2018)

Critique initialement publiée sur mon blog : http://nebalestuncon.over-blog.com/2018/12/noise-t.1-de-tetsuya-tsutsui.html


Une fois de plus, c’est l’excellente revue Atom qui m’a incité à lire cette BD parue tout récemment, et due à un auteur dont, une fois de plus, je ne savais rien jusqu’alors. Et qui a eu un parcours intéressant car hors-normes : Tsutsui Tetsuya, galérant à placer ses BD auprès des éditeurs japonais, est devenu mangaka indépendant, publiant ses histoires en ligne. C’est là qu’il a été repéré… par un éditeur français, Ki-oon (dont je ne savais rien il y a peu encore, mais la merveilleuse Emanon est passée par là depuis). Et c’est ainsi que plusieurs de ses titres ont été publiés en français avant d’être édités au Japon. Quelques années ont passé, et Tsutsui Tetsuya est maintenant attaché à un éditeur japonais, Shûeisha, mais il a maintenu une relation privilégiée avec son éditeur français Ki-oon, et consulte d’une certaine manière les deux dans la conception de ses mangas – et Noise, en l’espèce, paraît donc très vite en français après sa prépublication japonaise.


Tsutsui Tetsuya s’est essentiellement fait connaître dans le genre du thriller – à dominante urbaine et souvent technologique. Une thématique semble-t-il récurrente de ses histoires est la manière dont la société compose avec le crime en son sein. Cette thématique ressort de manière frontale dans ce nouveau titre qu’est Noise, prévu pour durer trois tomes. Mais le cadre change drastiquement par rapport aux productions antérieures du mangaka : cette fois, Tsutsui Tetsuya délaisse la ville et les réseaux sociaux pour la campagne japonaise et la rumeur du bouche à oreille.


Nous sommes à Shishikari, petite bourgade à deux heures de Nagoya, qui a beaucoup souffert, comme tant d’autres dans les coins reculés du Japon, de la désertification rurale et du vieillissement de la population. Mais ce sombre tableau n’est peut-être pas inéluctable ? Izumi Keita, un enfant du pays, s’est lancé dans la culture de figues, et une star du web a assuré sa promo ; elles se vendent très bien, et Keita entend en faire profiter la communauté – là où tout le monde s’attendait à ce que Shishikari décline toujours davantage, ce soudain afflux de renommée et de devises a permis de rénover la mairie, de construire une bibliothèque, en attendant une école… Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes !


Quand, un jour, arrive un individu dont le comportement étrange attire aussitôt la suspicion. Ce Suzuki Mutsuo a vu une annonce d’Izumi Keita, qui disait qu’il avait besoin de bras pour son exploitation, alors il vient proposer ses services… Mais un ami de Keita, Tanabe Jun, comprend que le bonhomme est… bien plus que suspect : c’est un ex-taulard, qui avait été condamné pour le harcèlement et le meurtre d’une jeune fille, il y a quelques années de cela ! Ici, Tsutsui Tetsuya semble s’être inspiré d’un fait divers authentique, l’agression d’une idole par un « fan » frustré… Même si, ce qui l’intéressait le plus dans cette affaire, c’était le constat que cet homme finirait bien par sortir de prison : que se passerait-il à ce moment-là ?


Quoi qu’il en soit, Tsutsui Tetsuya ne cherche pas le moins du monde, ici, à laisser planer le doute quant à la dangerosité du bonhomme : nous savons, très vite, que Tanabe l’a correctement identifié, et que c’est toujours un monstre – un pervers violent, qui a des vues sur Kana, la femme de Keita, qui a hâte de divorcer, voire sur leur fille Erina.


Un petit cercle d’hommes, à Shishikari (car il faut rapidement y ajouter Shinichiro Moriya, tout jeune flic qui vient à peine d’entamer son service dans ce bled), a donc conscience que la communauté est menacée par la simple présence d’un individu dangereux ; ils ne peuvent croire un seul instant que sa peine de prison, pas entièrement exécutée, ait pu le rédimer. De fait, il n’en a rien été, et le danger est réel. Dès lors, à eux de prendre les choses en mains pour se protéger ?


Vous vous doutez de comment tout cela va tourner… Des innocents peuvent ainsi être amenés à commettre le pire ? En prenant en compte que ces innocents peuvent avoir des motivations souterraines, je suppose – Tanabe Jun est un peu trop porté à manier le fusil, Izumi Keita est obsédé par son mariage en déliquescence et surtout la garde de sa fille (ce n'est pas pour rien qu'il déplore la décision de construire une bibliothèque avant l'école qui l'intéresse bien davantage), et le jeune flic veut tellement se faire bien voir des administrés, d’autant qu’on lui a dit qu’il vaudrait mieux qu’il se montre coulant… Mais, quoi qu’il en soit, ces trois personnages se retrouvent à partager un lourd secret, et sont bientôt menacés, non plus par les vues perverses d’un criminel, un mal absolu aisément identifiable, mais par l’enquête du policier Hatakeyama, sur la piste de Suzuki Mutsuo – un homme « bon », et qui doit retrouver le criminel, pour réparer d’anciens torts et pour en éviter de nouveaux…


En fait de thriller, et même si Tsutsui Tetsuya sait susciter et entretenir une certaine tension, ce premier tome de Noise n’est au fond guère surprenant. L’essence de la trame se devine très vite. Du coup, la seule surprise potentielle, ici, porte sur ce choix, éventuellement étonnant si pas nécessairement non plus, consistant à faire de Suzuki Mutsuo un monstre, sans la moindre ambiguïté. D’autres auteurs auraient probablement joué de la possibilité, soit qu’il ait été un innocent injustement condamné dès le départ, soit que la prison l’ait effectivement racheté et que le remords pour son crime atroce en ait fait un autre homme, à moins que la question ne doive être posée dans des termes plus froidement juridiques aussi bien que psychologiques ou sociologiques, des approches dans lesquelles la connotation largement spirituelle voire religieuse de la rédemption n’est tout simplement pas de mise – c’est au fond l’essence de la réflexion sur la législation criminelle : s’agit-il de punir, ou de protéger ? Le Suzuki qui offre son patronyme à Mutsuo amène tout naturellement à envisager le problème sous cet angle, et c’est pertinent. Mais, ceci mis à part, Tsutsui Tetsuya ne joue donc pas ce jeu de « l’innocence », fondamentale ou acquise/retrouvée – et, à tout prendre, je suppose que c’est probablement préférable pour son récit.


Dès lors, ce n’est pas la personnalité de Mutsuo qui compte, et pas davantage ses crimes, mais la réaction de la communauté à son arrivée à Shishikari. Il y a d’emblée une forme de paranoïa latente, et je suppose que c’est là un thème central de Noise – avec cette idée de rumeur qui enfle, bien sûr, et qui n’a pas besoin de la caisse de résonance des réseaux sociaux pour colporter bruits funestes et (très) mauvaises idées, dont celle d’une « justice » personnelle. Que Keita ait raison de se méfier de Mutsuo ne change rien au fait davantage navrant qu’il se montre suspicieux d’emblée – quand l’homme se présente devant lui, son premier réflexe est de vérifier qu’il n’y a pas de traces de piqûres sur ses bras, ou de tatouages identifiant un yakuza, voire carrément de phalanges coupées… Qu’il n’y ait rien de la sorte semble presque le frustrer, d’une certaine manière. Quant à l’ami Tanabe, oui, il est décidément bien trop content de se balader avec son fusil et d’en faire usage, ou de promettre de le faire ; ce en quoi il peut évoquer bien des croisés du web, j’imagine… ou le vigilante lambda convaincu de sa supériorité morale. Oui, je suppose que c’est là qu’est le cœur de Noise, si j'ose dire – et que ce manga se montre à cet égard pertinent.


Pour autant, il ne m’a pas des masses emballé. Pour un thriller, il est bien plan-plan, et donne une impression de déjà lu – ce qui, hélas, n’exclut pas l’usage de mécaniques un peu forcées, un peu trop apparentes ; mon problème avec les thrillers en général, faut dire. Ce premier tome se lit sans déplaisir, certes pas, mais sans guère d’enthousiasme non plus. La mise en place est bien gérée, mais, quand j’ai retourné la dernière page, j’ai un peu eu le sentiment de n’avoir… rien lu ? J’entends par-là qu’il ne s’agissait pas d’une frustration souhaitée, celle qui pousserait à lire au plus vite la suite. Non, là il s’agissait plutôt… d’indifférence, je suppose.


Ce qui vaut pour le dessin en même temps que pour le récit. C’est pro, mais un peu fade. Les personnages sont bien caractérisés, mais les décors souvent minimalistes. Et, globalement, j’ai eu l’impression que cela manquait un peu de personnalité.


Ou, dessin et scénario, de véritable accroche ? Le thème est bon, voire plus que ça (il me ramène à vrai dire à de vieilles interrogations personnelles), mais j'ai tout de même le sentiment qu'il manque quelque chose pour que ce soit vraiment intéressant. Je ne regrette pas ma lecture – mais je ne suis pas certain de lire la suite. Peut-être me faudrait-il essayer une autre BD de Tsutsui Tetsuya ? Je ne sais pas. Mais ce premier contact n’a donc pas été très enthousiasmant.

Nébal
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le 12 déc. 2018

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