pas de panique
Et voilà que le bois de Boulogne doit être préservé, en tout cas pour les riches du 16è. Saisissant de voir la violence des riches à l'encontre du reste du monde. On le sait, on le devine, mais là,...
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le 25 févr. 2018
BD (divers) de Michel Pinçon, Monique Pinçon-Charlot et Etienne Lécroart (2017)
Laissez-moi pour commencer dissiper un très probable malentendu: je suis moi-même très orienté à gauche (quasiment toute ma famille est communiste...) et les thèses défendues par les Pinçon-Charlot me sont spontanément très sympathiques. Je ne suis pas le dernier lorsqu'il s'agit de faire du "riches-bashing" entre amis autour d'un verre et de rêver d'un monde plus juste et moins inégalitaire.
Mais je suis aussi un chercheur de formation (j'ai une thèse en géographie économique et sociale sur l'Ile-de-France, donc, sans vouloir verser dans l'argument d'autorité, je peux au moins dire que le sujet abordé ici m'est plus que familier), et j'ai aussi quelques compétences lorsqu'il s'agit de reconnaître un mauvais livre de science sociale quand j'en vois un...et c'est malheureusement le cas ici!
Quiconque a fait en France un peu de sociologie connaît sans doute ce couple de sociologues médiatiques (à la retraite...), les Pinçon-Charlot, spécialistes des grandes fortunes et autres familles les plus huppées de notre beau pays. Même dans leurs travaux les plus sérieux (ici, ils ont sans doute franchi définitivement le Rubicon vers le "pamphlet destiné à divertir"), ce sont vraiment des sociologues "à l'ancienne" (ce n'est pas un compliment ici), c'est-à-dire qui ont été totalement mono-sujet, voire mono-thèse tout au long de leur carrière (parfois, la diversité des centres d'intérêts est pourtant une vertu, notamment en sciences sociales), et aussi totalement allergiques au traitement de données: du coup, nous avons affaire à une sociologie qui s'appuiera surtout sur l'étude du bottin-mondain, la lecture d'articles de presse et des entretiens au hasard dans la rue...
Du coup, une fois que vous aurez lu un livre du couple, vous aurez l'impression de relire le même livre à l'infini lorsque vous vous pencherez sur le reste de leurs publications, avec toujours la même thèse d'inspiration "bourdieusienne" (tant qu'à faire, si vous voulez aller lire de la sociologie, il vaut mieux aller lire le vieux dinosaure Bourdieu que ses imitateurs!), à coups de "domination de classe" et de "violence symbolique": la classe aisée est la classe sociale structurée par excellence, la plus au fait de ses intérêts de classe et la plus intéressée qui soit dans le maintien des processus de reproduction de leur domination sociale de classe. Si je peux tout à fait adhérer à cette thèse de manière générale, il ne faut toutefois pas verser dans la complète caricature et développer un traitement du sujet uniquement à charge, quitte à laisser totalement de côté tous les "détails" qui ne collerait pas avec ce "grand récit". Malheureusement, de ce défaut (des analyses complètement biaisées par une conclusion déjà connue a priori et bien peu nuancée, le tout complété par un ton moralisateur vite insupportable), les Pinçon-Charlot sont les spécialistes absolus! (nous allons y venir).
Plus embêtant encore, dans les dernières productions du couple (notamment une autre BD sociologique avec Marion Montaigne, qui m'avait tout de même semblé dans l'ensemble plus recommandable que celle-là), les Pinçon-Charlot ont commencé (en toute modestie) à se mettre littéralement en scène comme de véritables hérauts de la justice sociale, pourfendeurs des méchants bourgeois (avec un discours bien caricatural et lourdement moralisateur), au risque même, à force de "personnaliser" outre mesure leurs productions, de finalement desservir les thèses qu'ils défendent....Bref, en matière de déontologie de la recherche, on a déjà fait mieux (mais encore une fois, on est ici plus dans une parodie de recherche que dans une vraie recherche sociologique rigoureuse à proprement parler, même si le couple joue bien entendu à fond sur cette ambivalence entre leurs anciennes activités de chercheurs et leur statut actuel d'intellectuels médiatiques).
Cela étant dit, vous me demanderez pourquoi, avec une opinion déjà grandement faite sur nos sociologues, je me suis laissé aller à lire ce "Panique dans le 16e". Juste pour le plaisir de râler?
Déjà, j'aime bien le dessinateur, Lécroart; ensuite, choqué, comme toute personne sensée, par ce qui s'est passé dans le 16e, autour de ce centre d'hébergement qui est au cœur du livre, j'étais tout de même curieux de voir ce qu'en ferait nos deux sociologues. Last but not least, je suis tombé sur ce livre par hasard sur un présentoir de ma bibliothèque de quartier, donc je n'ai pas eu à lâcher 16 euros pour le lire!
Le livre commence pourtant plutôt pas mal ; le déroulé des évènements est plutôt bien retracé, les bandes-dessinées sont plutôt rigolotes (bien que déjà redondantes par rapport au texte). On passe un plutôt bon moment. Mais ça se gâte rapidement, notamment lorsque le livre se détache de son sujet de départ pour se lancer dans une analyse sociologique du Bois de Boulogne et de ses abords. Tout d'abord, nos deux sociologues en profitent pour faire pas mal de remplissage en faisant beaucoup de simples copier-coller de leurs analyses antérieures, lues et relues dans leurs précédents ouvrages. Mais surtout, l'analyse de ce bois est totalement partielle: à les suivre, ce serait la première fois qu'on verrait dans le 16e la confrontation entre la haute-bourgeoisie et la grande pauvreté...les auteurs oublient simplement de préciser que le Bois de Boulogne est aussi un haut lieu de la prostitution parisienne (quasiment connu internationalement pour cela). Oublier ce "détail" relève quasiment de l'exploit lorsque l'on consacre tout un chapitre à l'analyse de cet espace (à moins qu'on considère que les prostitués et leurs clients fassent nécessairement partie de l'élite sociale...). Par ailleurs, comment parler de ce Bois sans évoquer ses utilisateurs, qui ne se limitent pas (croyez-en un Parisien) aux seuls habitants du 16e...(joggeurs, familles en promenade, etc.). Ce serait le même constat pour le Bois de Vincennes.
Sous la plume des Pinçon-Charlot, tout constat qui ne va pas unilatéralement dans le sens de leur thèse principale est violemment rejeté: certains habitants du 16e se portent bénévoles pour le centre d'hébergement? Sans doute une nouvelle stratégie de classe pour se donner bonne conscience dès lors que ce centre existe...Le christianisme social (mouvement ancien qui est notamment à l'origine du mouvement HLM, excusez du peu) est rejeté nonchalamment comme de la simple "charité"...Un ancien club privatisé dans le Bois de Boulogne est rendu au public, ils sous-entendent que tout est fait (qui? pourquoi?) pour que cet état de fait soit dissimulé aux passants...
Sans me lancer dans un inventaire à la Prévert, les auteurs semblent sincèrement persuadés que toute personne aisée ne peut véritablement pas - à moins d'avoir une stratégie cynique en tête pour se donner bonne conscience et/ou bien se faire voir - faire œuvre de solidarité envers des personnes plus démunies...Plus largement, ils semblent persuadés que la quelque centaines de gros c##s de rentiers désœuvrés qui se sont rendus à la fameuse réunion qui a donné son point de départ au livre sont représentatifs de quasiment TOUS les habitants du 16e (peut-être sont-ils majoritaires, mais il est quand même extrêmement peu probable que la quasi-totalité du 16e partagent leurs points de vue extrêmistes). Une analyse plus serrée et nuancée (analyse de la géographie électorale fine de l'arrondissement; étude de ses caractéristiques sociales à l'IRIS, etc.) manque cruellement ici.
Je ne m'étendrai pas plus sur ce livre: si vous cherchez un livre de divertissement procurant une bonne dose de "riches-bashing" primaire (et passablement de mauvaise foi), vous trouverez ici votre bonheur (ce n'est pas moi qui vous jetterai la première pierre; par les temps macroniens qui courent, cela fait parfois du bien de se défouler!). Mais si vous cherchez une étude sociologique sérieuse (ou au moins honnête et bien documentée), passez votre chemin.
Malheureusement, les auteurs semblent encore largement truster le champ d'études des populations les plus aisées et de leurs espaces, alors qu'un besoin de renouvellement de génération pour l'aborder se fait aujourd'hui grandement sentir...Et si vous veniez pour les dessins, malheureusement, ceux-ci ne sont vraiment que décoratifs et ne font que reprendre et répéter ce qui est dit dans le texte...Le médium BD (contrairement d'ailleurs à la BD avec Marion Montaigne) est ici bien mal exploité.
Créée
le 4 févr. 2018
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