Depuis que j’ai lu « Malaterre », Pierre-Henry Gomont fait partie des auteurs que je suis assidûment. J’ai découvert un auteur avec un style à lui, mais pourtant des projets aux univers différents. Je m’offre un petit retour en arrière avec « Pereira prétend », peut-être l’album où il s’est finalement trouvé graphiquement. Adaptation d’un roman d’Antonio Tabucchi (que je n’ai pas lu), l’ouvrage pèse près de 150 pages et est publié chez Sarbacane.
Pereira est portugais. Alors que la dictature sévit, il travaille dans un journal catholique et s’occupe de la page culturelle. Après avoir lu un article d’un jeune étudiant en philosophie, il contacte ce dernier pour le rencontrer. Va s’ensuivre alors une série d’événement que Pereira provoque sans parvenir à s’en défaire. D’abord, il propose, sans en parler à sa direction, que l’étudiant écrive des nécrologies pour son journal. Or, ces nécrologies engagées, vont mettre en danger Pereira et le faire vaciller.
Pierre-Henry Gomont reprend le concept littéraire de « Pereira prétend ». Ainsi, la narration commence régulièrement par cette phrase, comme pour mettre en doute le récit lui-même, ce qu’aurait dit, pensé ou fait le personnage. Dans le contexte d’un pays où les actes et la pensée sont contrôlés et surveillés, cela apporte une force au texte. Ainsi, la narration est très présente. Je ne suis habituellement pas fan de ce procédé lors des adaptations d’œuvres littéraires, mais cela fait partie du langage de Gomont.
L’ouvrage est long. Il permet à la pensée de Pereira d’évoluer lentement. Pas de grand changement, de retournement de situation. Tout paraît très naturel : une influence de deux jeunes gens, de l’empathie simplement, une envie de ne plus ignorer et se voiler la face. Pereira n’est pas un révolutionnaire, il ne vit qu’à moitié depuis la mort de sa femme. Mais face aux événements, il est bien obligé d’agir. Cet homme difforme, détruit, asocial, nous paraît soudain sympathique dans ses travers. En cela, l’ouvrage est parfaitement réussi.
Graphiquement, le trait de Gomont, dynamique et expressif, marche parfaitement. Les pages sont pleines de cases, la narration maîtrisée. C’est beau et efficace à la fois. Les couleurs sont également une réussite, souvent dans les tons ocres du Portugal avec quelques entorses pour les scènes de nuit. C’est le Gomont d’aujourd’hui dans son trait, on le reconnaît parfaitement.
« Pereira prétend » est un ouvrage réussi. Les personnages sont vivants, crédibles et Pereira lui-même est particulièrement crédible. La montée en tension dans le livre se fait lentement, mais inexorablement. Gomont maîtrise son rythme et nous emporte jusqu’à la fin. Du beau travail.