Eh bien voilà, c'est là que s'arrêtent les aventures de Basil et Victoria... Dernier album mais non le moindre, car c'est probablement le plus beau de la série, d'un point de vue graphique, et peut-être aussi le mieux maîtrisé côté scénario. Et qui démarre sec, avec un hommage appuyé à La marque jaune. On avait déjà repéré ici et là différentes allusions d’Édith et Yann aux œuvres de certains de leurs confrères, je trouve que celle-ci est à la fois la plus drôle et la mieux exploitée.


Pour conclure les péripéties de nos deux loustics, Yann et Édith ont bouclé la boucle avec un retour aux sources. Et même un double retour aux sources. On retrouve en effet les deux héros à Londres, dans leur Londres de la fin du XIXème, sale et sombre et puant, brumeux et humide, glauque mais aussi, parfois, chaleureux. C'est sans doute l'album le plus proche de l'univers de Dickens, puis qu'en sus du décor un rien sordide où l'on était déjà habitué à évoluer, on est plongé dans le monde des petits travailleurs des rues. Un milieu dont Basil et Victoria s'étaient jusque là pas mal tenus à l'écart, eux étant des clochards du port - qui constitue un monde assez différent. Étant donné que Victoria va s'amouracher, ce qui est assez surprenant, d'un ramoneur, là voilà partie sur ses traces, prête à tout pour à rejoindre, et l'élu de son cœur, et le clan des hirondelles - des enfants ramoneurs qui sont, comme il se doit, exploités jusqu'au trognon, et qu'on utilise pour cambrioler les bourgeois (ben oui, des enfants ramoneurs, c'est ma foi bien pratique pour s'introduire de nuit dans les appartements). Petit à petit, va se dévoiler un côté encore plus sombre de cet univers : quand on évolue sans cesse sur les toits, on finit inévitablement par tomber, et par être estropié. Et pas de pitié pour les infirmes, qui ne sont devenus que des bouches inutiles. On les vire par conséquent manu militari du groupe d'hirondelles... Mais cette intrigue à la tonalité très réaliste se trouve dès le début mêlée à une histoire de malédiction : les corbeaux de la Tour blanche, corbeaux de la Reine, ont disparu, tandis qu'un étrange corvidé géant apparaît régulièrement dans les airs : le terrible Ravenstein, que plus ou moins tout le monde s'est juré de capturer.


J'ai parlé plus haut de double retour aux sources, pour la bonne raison qu’Édith a beaucoup travaillé son style, et que, sans renier l'évolution graphique qu'elle avait amorcé dans les deux précédents tomes, elle revient ici en partie au crayonné qui faisait la particularité des deux premiers. Elle a su allier les différentes techniques auxquelles elle s'était essayée durant quatre albums, pour arriver à un dosage minutieux. Elle renoue donc avec cet aspect délicieusement vieillot que l'on avait récemment en grande partie perdu, tout en continuant à travailler la couleur de façon plus subtile - même si toutes les planches de l'album ne se valent pas en matière de colorisation. On sent qu'elle s'est plu à travailler et les ambiances nocturnes, et les scènes neigeuses, en particulier, ainsi que les décors urbains - qu'elle joue alors sur un certain minimalisme (la ruelle de la page 27), ou qu'elle opte pour un décor architectural plus détaillé. Mais c'est dans les envolées es corbeaux et les apparitions nocturnes de Ravenstein qu'elle s'est surpassée, ce qui donne de belles planches dans les tons grisâtres comme celles de la page 15 ou de la page 24. Yann et Edith en sont donc arrivés, avec Ravenstein, à leur album le plus harmonieux et le plus cohérent.


Ce qu'il adviendra aux hirondelles, aux estropiés, ainsi que, évidemment, à Victoria et Basil, je vous laisse le découvrir. Toute la série fut une jolie découverte, une aventure souvent drôle, parfois teintée de surnaturel, mais aussi une plongée sans fards dans le monde cruel des marginaux du Londres de Dickens. Ce qu'on peut regretter, c'est que l'album nous laisse sur notre faim. Les Humanoïdes associés ont bien clairement affiché, avec la parution de l'intégrale en 2014, que la série était terminée. Et pourtant il semblerait que cette fin n'était pas censée en être une. J'en veux pour preuve l’intitulé de l'intégrale sortie en 2008 : Basil et Victoria, première époque. En conséquence, nous voilà avec une série se termine de façon abrupte, sur une fin qui n'en est pas vraiment une. Tsssss...

Cthulie-la-Mignonne
7

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le 25 oct. 2017

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