Romain et Augustin de Cadène, Garguilo et Falzon a été publié en 2013 pour faire écho au débat sur le Mariage pour tous. J’arrive des années après la guerre. Qu’en est-il en 2022 ? Christiane Taubira et le PS sont tombés en désuétude, les homosexuels se marient, certains divorcent, et la Manif pour tous n’est plus qu’un vague souvenir qu’on ferait tous mieux d’oublier.
Mais en 2013, ce n’était pas le cas. En 2013, chacun avait son opinion sur le mariage homosexuel. On pourrait alors s’attendre à ce que Romain et Augustin soit un plaidoyer en faveur de la loi Taubira. Et s’en est un. Mais un plaidoyer ô combien intelligent, subtil et humain.
Tout commence avec Romain et son petit ami Augustin, les deux s’aiment, partagent un appartement et vivent leur train-train quotidien. Jusqu’au jour où Augustin, le plus jeune des deux, demande Romain en mariage. S’en suit alors des séquences de remise en question, de disputes et de débats politiques où chacun donne son opinion, le tout, entrecoupé d’interludes dans lesquelles le cousin germain de Romain filme son quotidien.
Romain et Augustin n’est pas une bande dessinée [que] sur le mariage homosexuel. C’est une bande dessinée sur des humains, des gens, de tout âge, de tout bord politique et de toute orientation sexuelle, qui évoluent, qui sont en proie aux doutes, aux angoisses et à la peur de l’avenir. Or, et c’est là où le scénario est d’une grande intelligence et d’une grande subtilité, les deux protagonistes ne sont pas que « gays », ils sont avant tout humains et c’est exactement ce que les auteurs veulent nous faire comprendre. En ce sens, le traitement de l’homosexualité est intéressant, car les protagonistes ne cessent de nous rappeler que les personnages sont homosexuels mais, pour autant, ils ne sont pas « que » homosexuels. Leur vie, leur identité et leur personnalité ne se résument pas qu’à leur orientation sexuelle. Tout comme leur mariage n’est pas un mariage « gay » mais un « mariage » tout court. Certes, un mariage peu conventionnel (rappelons que c’est en 2013) mais un mariage. Par ailleurs, les auteurs ont choisi de ne pas uniquement se focaliser sur les deux protagonistes mais ont porté un intérêt particulier aux autres protagonistes, ceux qui gravitent autour des deux personnages et qui, pour certains, mènent aussi des vies de couple « non-conventionnelles ».
Sur le plan de la narration, les auteurs donnent la parole à tous les personnages : les deux concernés, le père gauchiste, la mère ulta-catho, le père homophobe… Toutefois, je tenais à souligner un petit bémol sur ce point. Pour ma part, je trouve cela dommage que les propos des « anti mariage » ne soient pas plus cohérents. Si bien qu’on tombe parfois, facilement, dans le stéréotype. Je pense notamment à la mère d’Augustin décrite souvent comme une catholique illuminée ou encore à la petite cousine du même Augustin qui, parce qu’elle est catho, s’oppose au mariage pour tous en arborant le t-shirt de la Manif pour tous. Ces représentations sont, à mon sens, réductrices et caricaturales.
Malgré ce petit bémol, l’œuvre n’en est pas moins intelligente. Le mariage pour tous est un prétexte pour montrer des humains dans des situations du quotidien. Pas de sensationnel, pas d’action ou de violence, juste le quotidien le plus banal, le plus ordinaire et le plus universel. C’est pour cette raison que j’ai d’autant plus apprécié l’esthétique de Romain et Augustin. Le rythme est lent, or, dans la vraie vie : c’est lent et il ne se passe pas toujours grand-chose. Sur ce point, on ne peut que saluer l’enchaînement des bandes et des séquences. Les personnages sont parfois silencieux, le décor ne change pas, les personnages ne bougent que très peu si ce n’est pour faire des tâches du quotidien (enfiler des chaussures, payer une addition, boire une gorgée de café…). Enfin, puisqu’on parle de l’esthétiques graphique, on appréciera particulièrement les différents styles représentés, notamment lorsque le cousin filme son quotidien. Les scènes filmées sont différentes des scènes « réelles » sur le plan visuel. Nous avons l’impression d’avoir deux récits au sein du principal récit et ces scènes du quotidien filmé font écho aux scènes du quotidien dessiné. Pas de sensationnel, pas de moments grandioses, que des personnages qui échangent.
Contrairement à ce que le titre et la couverture pourraient laisser imaginer, le récit ne s’adresse pas uniquement à la communauté queer ou aux pro mariage homosexuel. Elle s’adresse aux lecteurs qui aiment la bande dessinée naturaliste, celle qui raconte et représente le quotidien, le plus trivial, à l’échelle humaine.
Les fans comme moi de Pochep pourront d’autant plus savourer la postface dessinée par ce dernier.