Avant tout, je tiens à préciser que je ne suis pas un puriste des comics. Je commence à peine ce grand voyage dans ce vaste univers, et il me reste encore pas mal de choses à découvrir, j'en suis conscient. Je ne suis donc pas familier des travaux antérieurs de l'œuvre du héros qui répond au sobriquet d'Adam Strange, ni de l'univers DC en général. Voilà, c'est dit. Commençons. J'avais déjà pu lire quelques travaux précédents de l'auteur, j'ai donc abordé les premières pages avec beaucoup d'attentes. Et je ne suis pas déçu. Cette BD (comics, roman graphique, bouquin, livre, bla bla bla) a été l'équivalent d'un uppercut, un tire de rayon Zeta. Je suis resté scotché à mon siège comme un vol en hyperespace.

En ce qui concerne les dialogues, on sent que l’auteur est passionné de littérature, que c’est un lecteur assidu qui apprécie manier les mots avec soin et précision, un vrai petit chirurgien. En effet, il a cette manière clinique de ciseler chaque phrase, de choisir avec minutie le mot juste, celui qui aura le plus d’impact, celui qui tranchera nos habitudes et nous fera reconsidérer une simple réplique. C’est là où Tom King se distingue en grande partie de ses paires : il sait prendre son temps. Rien n’est superflu dans ses dialogues. Il sait ménager ses effets, nous offrir des moments de répit, de contemplation propice à la réflexion. Et c’est justement ce silence qui enrichit ses personnages, qui leur donne une profondeur particulière.


Tous les personnages ont leur propre idéaux, leurs faiblesses, une backstory soigneusement construite, et leur propre vision de la justice, de ce qui est bien ou ce qui est mal. C’est l’une des marottes de l’auteur : cette frontière sinueuse. Il prend plaisir à jouer avec cette ambiguïté morale. Pour cette raison qu’il ancre souvent ses histoires dans un canevas très réel, transposant ses héros dans un monde qui ressemble étrangement au notre, dont les guerres nous rappellent certaines périodes noires de notre propre histoire (ici, un génocide). Il s’inspire de conflits proches de ceux que nous connaissons dans le but de porter une réflexion sur les agissements de son propre pays, ce qui n’est pas surprenant venant d’un ancien membre de la CIA. Il défricote sa nation, gratte le vernis des Etats-Unis et démystifie le super-héros avec une impartialité minutieuse. Ses héros sont tourmentés, hantés, agités. Difficile de les saisir ou les juger, car ils sont profondément humains (misérables et passionnés).


Il nous faudra plus de 12 chapitres et le point de vue de plusieurs personnages pour comprendre pourquoi Adam Strange n’est pas exactement le grand sauveur qu’on imagine, ni celui qu’il prétend être. Les indices sont distillés subtilement. L’auteur sait prendre son temps. La montée en tension est gérée d’une main de maitre. Les encarts avec Mr. Terrific apportent une densité à l’intrigue, nous poussant à jouer nous-mêmes les enquêteurs, cherchant à découvrir où Strange aurait pu mal agir. Pourtant, tout cela (à l’exception des 2 derniers chapitres) restent du domaine de l’implicite ; on ne fait que le ressentir, que soupçonner. Un autre King (Stephen) disait que la littérature, la narration, était une question de télépathie : l'objectif est de réussir à faire ressentir des choses qui ne sont pas explicitement écrites sur la page. Je suis tout à fait d'accord, et Tom King nous en donne ici une jolie démonstration.


Mais je réalise à peine que je n’ai pas encore abordé la question des dessins ! Fichtre. Il est grand temps d’y remédier, et ce sera sûrement le bon moment pour conclure, car, bon sang, c’est un autre des grands atouts de ce livre : la beauté époustouflante des décors, la richesse visuelle de ses paysages à couper le souffle et, bien sûr, l’utilisation de 2 dessinateurs au style distincts pour différencier les 2 temporalités de narration. Ce qui me fait penser que l’utilisation du noir & blanc au cinéma pour présenter un flashback est vraiment un truc de feignant. Vraiment les gars, prenez exemple sur les auteurs de comics, ça vous fera du bien.


Chez King, la narration est très visuelle, il est donc important de bien s’entourer, de travailler avec des pontes de leur domaine. L’atmosphère que nous offre Mitch Greads et Evan Shaner, entre un réalisme brut et un style plus pulp évoquant l’âge d’or des comics, est renversante. Cela donne du coffre et beaucoup de personnalité au récit – tout en évitant de nous perdre entre les times-line. C'est aussi un truc dont je raffole avec King, malgré l'âpreté de ses histoires, les dessins sont toujours chaleureux et étrangement doux. Un contraste qui permet d'éviter de tomber trop facilement dans le pathos (pour l'auteur) ou l'inconfort (pour le lecteur).


Juste un point qui m'a pas mal chatouiller l'esprit : ces passages (cases) à la première personne qui créent une certaine complicité avec le lecteur, donnant l'impression ambivalente que le héros s'adresse directement à nous - nous offrant son arme, sa confiance. Un stratagème empathique de l'auteur visant à mieux nous manipuler lors des révélations finales ? Si tel est le cas, bravo, cela a parfaitement fonctionné sur moi.


Petite confession finale. J’ai découvert l’œuvre de King par le biais d’un ami qui est un peu plus connaisseur de l’univers des comics que moi. Un jour, alors qu’on parlait des œuvres d’Alan Moore, je lui ai dit que je n’avais jamais lu quelque chose d’aussi saisissant que Watchmen (casu), et c’est là qu’il m’a amené chez lui pour me passer une BD. Mister Miracle. Il m’a dit que ce mec, Tom King, était le « nouveau » Moore. Bon, ok. J’ai pas cherché à le contre dire et j’ai pris sa BD. J’ai d’abord eu du mal à rentrer dedans (comme ça avait été le cas avec Watchmen). J’ai continué ma lecture. Puis je l’ai terminé, mitigé. Je ne savais pas trop quoi en penser. C’était bon, mais… je sais pas, il manquait un truc pour vraiment m’accrocher. C’était trop différent de ce que j’avais l’habitude de lire. Puis, avec le temps, Mister Miracle est resté dans un coin de ma tête. Elle ne voulait pas me quitter, et je me suis rendu compte que je ne pouvais pas m’empêcher d’y penser. C’est là que j’ai compris que ce mec était peut-être aussi bon qu’Alan Moore, comme mon pote me l’avait dit. Pas meilleur, non, juste différent. Et ça c'est cool, car ça veut dire qu'il me reste encore plein de chefs-d'œuvre à découvrir !

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le 5 sept. 2024

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