S'il est un génie parmi les mangaka en activité, c'est bien Taiyô Matsumoto!
Son trait, très personnel, tout en sensibilité et à mille lieux de tous les poncifs qui ont cours dans la production actuelle, est reconnaissable entre mille. Et il parvient dans ses récits à totalement s'approprier des genres pourtant travaillés à l'infini pour en faire à chaque fois quelque chose d'unique (outre son fameux Amer Béton, shônen totalement halluciné - dans le bon sens du terme -, je repense notamment à son incroyable série Ping Pong, manga de sport aussi inoubliable qu'atypique dans son traitement du sujet).
C'est donc tout à fait confiant que je me suis lancé dans ce Sunny, sa dernière oeuvre au long cours en date (si je ne m'abuse), où l'on retrouve son obsession pour le monde et l'imagination de l'enfance, mais aussi pour sa force lorsque ses jeunes personnages doivent surmonter et compenser les défaillances du monde des adultes.
Difficile de ne pas penser ici au très beau film Ma vie de courgette (2015) - qui s'est sans doute inspiré de ce manga débuté en 2010: l'action se déroule dans un foyer de taille modeste (le foyer des étoiles qui accueille des enfants en situation de difficultés familiales et sociales) et suit la vie quotidienne et le parcours de ses pensionnaires. Le récit tournera beaucoup autour des relations difficiles de ces enfants à leurs parents (quand ils en ont encore), mélange d'amour inconditionnel et de colère, et de la famille de substitution que ceux-ci parviennent à se créer au foyer.
Ce qui frappe surtout dans ce manga, c'est l'infinie tristesse qui s'en dégage (à se demander dans quelle mesure le mangaka a lui-même été personnellement concerné par cette problématique...), mettant d'autant mieux en exergue toute la force mentale (mais aussi souvent le déni) que doivent mettre en oeuvre les enfants pour ne pas sombrer face à la situation d'abandon dans laquelle ils se trouvent. Le mangaka cherche avant tout (et y parvient tout à fait) à construire une ambiance poétique, nostalgique et mélancolique, qui pénètre le coeur du lecteur pour le laisser débordant d'émotions et de colère face à l'injustice du monde.
Les personnages sont merveilleusement bien construits, le dessin au top du top ; on aime partager les rêves de ces enfants / ados au volant de leur "Sunny", ce bolide abandonné qui leur sert de repère / de refuge à deux pas du foyer. Si certains personnages verront leur situation véritablement évoluer à la fin de l'oeuvre, le tout reste néanmoins strictement réaliste, centré sur un quotidien partagé entre petites joies et (parfois grandes) peines. Bref, du manga "tranche de vie" à son tout meilleur.
J'espère avoir l'occasion très prochainement de découvrir les autres oeuvres du mangaka qui manquent encore à mon répertoire (Samouraï Bambou, Number 5). Dommage que les mangas de cet auteur soient relativement onéreux, mais heureusement que les bibliothèques sont là pour rendre néanmoins ces œuvres précieuses accessibles!