Dans la peau de l'ours
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le 23 sept. 2022
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A l’origine, le monde était un paradis, où toutes les créatures vivaient selon les lois de la nature. Puis l’Homme est arrivé, avec sa soif de domination, s’érigeant en maître des éléments, créant des dieux à son image. Tandis que les humains se multipliaient, les animaux devaient fuir pour ne pas mourir. C’est sur ce postulat que se fonde ce conte éblouissant magnifiquement mis en images par Firat Yaşa, un auteur turc dont c’est la première bande dessinée publiée en France.
Pour ce faire, Yaşa a imaginé une aube des temps empreinte de fantastique en se basant sur les connaissances accumulées autour du site néolithique de Göbekli Tepe, dans le sud de la Turquie. C’est ainsi qu’il nous propose une préhistoire fantasmée de façon très poétique et intemporelle. L’Homme, qui a découvert le feu et les armes, a commencé à se sédentariser et s’organiser de façon structurée, avec sa hiérarchie constituée de dominants et de dominés. Symbolisée ici par un clan assez populeux, contrôlé par un chef religieux qui n’est rien de moins qu’un vulgaire gourou avide de pouvoir, l’espèce humaine est envisagée comme une menace pour l’équilibre naturel, avec déjà des velléités de bâtisseuse. Cette communauté de chasseurs voraces oblige ainsi les animaux à se terrer pour échapper à une mort probable, en tant que nourriture ou offrande destinée au « Père-Ciel », le dieu inventé par celui qui se fait appeler « vieux sage »…
Face à ces effrayants prédateurs, la jeune biche Murr accompagnée de Râht, son ami humain quelque peu misanthrope, seront constamment sur le qui-vive. Toutefois, ils auront la chance de trouver refuge temporairement au sein d’une tribu aux intentions moins belliqueuses, vivant selon des préceptes beaucoup plus en conformité avec la nature, et respectueuse du monde animal.
Aux côtés de cette histoire où les meutes de chasseurs à l’affût, quasi omniprésentes, contribuent à installer une atmosphère oppressante, le dessin apporte une note très contemplative. Dans un style un peu naïf qui évoque parfois les scènes de chasse figurant dans certaines grottes préhistoriques, Firat Yaşa possède un talent indéniable dans sa façon savante de gérer les couleurs. Les tonalités ocres, très chaleureuses, communient pleinement avec les nuances de bleu sombre. Les ciels étoilés sont littéralement envoûtants, de même que les constellations, ponctuellement symbolisées par des silhouettes humaines ou animales qui semblent se livrer à une ronde majestueuse. C’est par cette représentation que ressort toute l’approche empathique de l’artiste vis-à-vis du règne animal, avec comme axe narratif la douleur de cette biche privée du lien maternel dans sa fuite pour la survie.
Au-delà de cet aspect, Firat Yaşa fait ici s’opposer deux visions très divergentes du monde, dont la plus néfaste est plus que jamais prépondérante dans nos sociétés modernes. D’un côté, la doctrine religieuse fondée sur les élucubrations d’un illuminé en quête de domination ; de l’autre la position humble d’une spiritualité respectueuse de toutes formes de vie, qui tente d’exister chez les peuples autochtones non décimés par la civilisation et son pire acolyte, le capitalisme.
En remontant à la pureté de nos origines, il n’est pas impossible que ce conte fascinant — en apparence inoffensif — ait servi de prétexte à Yaşa – et celui-ci ne sait que trop bien à quel point la religion est utilisée à des fins politiques et nationalistes dans son pays, la Turquie — pour exprimer sa colère et son mépris vis-à-vis de ceux qui prétendent parler au nom d’un dieu hypothétique pour asseoir leur soif de puissance.
Une fois encore et comme souvent, on pourra être extrêmement reconnaissant envers les Editions ça et là de nous proposer la voix d’un artiste originaire d’un pays où la bande dessinée, qui tient pourtant une place importante, reste encore largement méconnue sous nos contrées. « Tepe, la colline », c’est vous l’aurez compris un énorme coup de cœur.
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Créée
le 1 juil. 2024
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