Ce qui marque au premier abord, c'est que Terra Australis est un gros pavé, plutôt bien réalisé, à la couverture sympatique et colorée : ça fait plutôt envie, il faut dire. Puis on lit la préface, très littéraire, et on ne peut qu'être entièrement d'accord avec la démarche de l'auteur, qu'on sent passionné et remarquablement informé. Alors on s'installe confortablement dans son fauteuil, prêts à partir à l'aventure...
Pour le pitch : le livre se découpe en trois parties ; le premier épisode se passe en Angleterre, le second à bord des bateaux du convoi en route vers l'Australie, et enfin le troisième en Australie, dans les premiers hameaux implantés par les colons.
On suit ainsi les destins croisés de plusieurs personnages embarqués plus (parfois) ou moins (le plus souvent) volontairement dans une aventure socialo politico idéaliste. Le récit se focalise donc sur ces hommes, femmes et enfants portés par le destin, déracinés et sans avenir, qui ont été bouturés au bout du monde, dans un voyage qui se veut épopée mais n'est dans la réalité qu'un voyage vers l'inconnu. À la lecture de Terra Australis, on a de temps à autres l'impression de se retrouver, de par le style très littéraire de la narration, au cœur des « Misérables » façon anglaise. Point positif : le récit se focalise sur les détails, et nous plonge dans des atmosphères souvent prenantes. Mais du coup on peut reprocher à l'ouvrage une narration éclatée, qui passe de point de vue en point de vue, ce qui rend ponctuellement le récit un peu lourd, d'autant qu'on ne voit pas toujours l'intérêt de se focaliser sur tel et tel personnage. Tout ça ressemble à un récit tapisserie plus qu'à un récit séquentiel. A postériori, certes, l'ensemble acquiert une cohérence, et un sens se dégage de tel ou tel destin. Mais au fil de la lecture, cette vision rapprochée très "terre à terre" exige un travail de questionnement afin donner du sens à certaines scènes et d'aller un peu au-delà de l'impression immédiate de réalisme qui se dégage.
Le livre manque de personnage réellement charismatique : les protagonistes ne sont pas des héros – ce sont des hommes et des femmes du commun qui font du mieux qu'ils peuvent : du coup, il n'y a pas de vrai méchant ni de vrai gentil, pas de vrai souffle épique qui emporte tout sur son passage. D'autre part, il n'est pas souvent évident de différencier les traits des personnages. Bilan : toutes les intrigues de cour, distillées dans l'ouvrage, ont tendance à rester très théoriques, et totalement imperméables – je ne suis pas arrivé à m'investir dans cet aspect de l'histoire.
De son côté, le dessin est très nerveux, tracé à grands coups de plume, avec des traits d'encre marqués, rehaussés de traits de blanc qui tranchent et donne un éclairage tout en reliefs et en aspérités sur des représentations pleines de caractère. Les arrière-plans sont sobres (sobriété qui pousse jusqu'à l'absence, souvent), et les détails sombrent parfois dans le fouillis. Comme le dit très justement le scénariste dans son -excellente- préface, s'il laisse quelques fois un vague sentiment de déception, certaines planches ne manquent pas de nous laisser littéralement pantois tant elles sont justes et maîtrisées.
Au final : un ouvrage qui promet pleins de rêves, très documenté, sur un sujet pas si souvent abordé... mais qui souffre par moments d'un manque de "métier" des auteurs dans la mise en scène et la conduite de l'histoire. On adhère -ou pas- au parti pris graphique. On ne peut nier cependant le travail considérable accompli, et qui mérite d'être découvert, même si l'ensemble n'inspirera pas l'envie urgente d'une relecture...