Critique de Stéphane de AAAPOUM pour les Inrockuptibles
Tokyo Sampo est une belle surprise. Surgi de nulle part, ce livre chaleureux et bigarré se partage entre un guide de Tokyo aussi intéressant qu’anecdotique, un carnet de voyage citadin, et le journal intime d’un jeune auteur désorienté et désœuvré qui occupe le plus clair de son temps à gribouiller, aux crayons de couleurs, de magnifiques dessins.
Durant 6 mois, l’auteur a erré à vélo dans la mégapole japonaise, sans travail, sans parler la langue, en essayant de dépenser le moins possible. C’était assurément se condamner à la longue et méthodique observation d’un environnement impénétrable, saturé de signes illisibles mais aux formes poétiques. Une société où les mots sont des dessins et ces dessins omniprésents sur les murs, où les citadins redoublent d’attitudes, de tenues vestimentaires et de gestes ultra codés. C’était également se poser au seuil de la modernité urbaine dans ce qu’elle a de plus naturelle. Tokyo n’est en effet pas une mégapole bâtissant par dessus sa vieille ville quelques quartiers d’affaire tape-à-l’œil, comme Shanghai ou Hong Kong. Non, Tokyo est une ville intrinsèquement moderne, à l’urbanité homogène et en permanence au seuil de la contemporanéité, puisque tout bâtiment au Japon ne dure jamais plus d’une soixantaine d’année s(avec une moyenne de 25). Passé ce délai, il faut l’abattre et en reconstruire un neuf, en raison des usures prématurées causées par les tremblements de terre, et des matériaux périssables, tel le bois, encore utilisés.
Florent Chavouet, sans le dire, parfois même sans le savoir, arrive à rendre-compte de tout cela et plus à l’aide de son dessin. Son graphisme magnifique, chaleureux, alterne réalisme et grotesque, avec une incompréhension teintée de bienveillance dans le regard qui transparait à chaque image. Les paysages, tout en profondeurs et volumes, regorgent de détails où égarer son regard. Quant aux crayons de couleurs, leur maitrise permet de retranscrire parfaitement cette lumière opaline qui baigne la capitale, avec ses reflets singuliers qui teintent le gris du bitume tokyoïte.
Saluons donc les éditions Picquier pour ce coup de génie éditorial. Sans ces amoureux du Japon, le ramassis de souvenirs hétérogènes aurait connu une autre forme. L’idée d’avoir demandé à l’auteur de refaire à posteriori les cartes des différents quartiers pour rythmer la lecture, l’organisation générale des planches … tout montre qu’un vraie réflexion éditoriale fut menée pour offrir une homogénéité à l’ouvrage sans le désincarner. Le résultat est aussi parfait qu’original, fluide comme une belle promenade à vélo dont l’on voudrait qu’elle ne s’arrête jamais.