Le journalisme sociologique est un sport de combat
Malgré la date de parution de cette « Année deux » de Transmet, j’ai compris qu’il s’agit d’une série de 60 épisodes publiés mensuellement par DC Comics à partir de 1997. Ce recueil des épisodes 13 à 24 est une réédition de l’album « La nouvelle racaille » de Panini Comics paru en 2008.
Transmetropolitan a pour personnage principal un journaliste acerbe, Spider Jerusalem, travaillant dans une mégalopole américaine d’un futur malheureusement assez proche. Le dessinateur, Darick Robertson, est américain, mais le scénariste, Warren Ellis, est britannique.
Spider Jerusalem est insupportable. Pourtant, il a suffisamment de charisme pour que nous ayons envie de le suivre dans ses enquêtes, coups d’éclat et engagements, souvent excessifs, parfois sordides, toujours jubilatoires. C’est un journaliste politique, au sens étymologique du terme (citoyen), ou plutôt un journaliste sociologique puisqu’il décrit et dénonce la dégradation des relations humaines et de cette société du futur dans laquelle nous vivons déjà. Il vit tout à fond, fumant comme un barbecue, consommant toutes sortes de drogues par toutes sortes de voies, et se mettant en permanence en danger...
Ces aventures qui pourraient être totalement sinistres sont sauvées par un humour (souvent noir) omniprésent et décapant. Spider Jerusalem est cynique et désespéré mais il se soigne par l’action et nous entraîne dans ses turpitudes, trouvant l’énergie dans la prise d’un cocktail de stimulants licites et illicites auquel le commun des mortels ne survivrait pas longtemps. Sa soif inextinguible de vérité excuse finalement sa violence verbale et physique ; nous sommes choqués mais nous sommes obligés de lui pardonner.
Le dessin de Darick Robertson est en parfaite résonnance avec le scénario. Il est perturbant... Le découpage des cases, au scalpel, donne un effet assez glacial. Les dessins sont parfois d’une qualité et d’un réalisme irréprochable, avec de beaux effets de contre-plongée ou de perspective. Mais ils sont parfois mal proportionnés ou irréguliers au point que l’on ne reconnait pas immédiatement certains personnages. Tout cela est sans doute volontaire : à l’image des lunettes de Spider Jerusalem (un verre vert rectangulaire et un verre rouge rond), nulle stabilité, nul équilibre n’est accordé au lecteur. Tout est fait pour nous déstabiliser afin que nous vivions la monstrueuse mégalopole de l’intérieur.
Le peu d’équilibre, de confiance à laquelle nous pouvons nous raccrocher au milieu de ce bazar sans espoir est le caractère entier, l’irréprochable intégrité de Spider Jerusalem.