Avec un titre aussi faste et ronflant que celui de l’œuvre qui nous concerne, on craint que survienne un film français tendance nouvelle cuisine. Vous savez, celle dont on dit qu’elle est très sophistiquée mais qu’on ne saurait juger du fait qu’il n’y a quasiment rien à becqueter.
Toutefois, tempérons les procès d’intention avant que ne soit déflorée la première page.
Ah mais, je connais, c’est du Kago, donc du Guro. Un de temps en temps, pourquoi pas, à condition que les intervalles temporelles soient suffisamment espacées entre chaque lecture. Une œuvre, chez lui, ça se compile généralement en un tome, mais il faut, je crois, laisser passer un mois de temps d’une compilation à l’autre.
Dans Une Collision Accidentelle sur le Chemin de l’École peut-elle donner lieu à un Baiser, on ne retrouvera initialement qu’une succession de planches avec un gag unique filant les unes après les autres sans laisser derrière elles un sourire. L’humour n’est pas tant noir et absurde qu’il cherche à l’être d’abord par des procédés scénographiques grossiers qui ne tromperont personne le temps des vingt premières pages. Il n’y a là que de la fausse gaudriole qui vous arrache plus volontiers un soupir d’exaspération qu’un franc fou rire. Certains concepts rapportés – et bien prestement – pourront peut-être faire lever un sourcil, néanmoins, ceux-ci ne seront pas exploités passé les huit cases sur lesquelles l’auteur les aura étalés en toute hâte.
Alors, le guro, dans les vingt premières pages, se révèle dans tout ce que je hais : tapageur, lourd, sans qu’il n’en émane ni atmosphère ou un quelconque sentiment, on n’y verra d’abord qu’une coquille vide dont les rebords brisés auront néanmoins laissé perler quelques gouttes de sang. Shintaro Kago a beaucoup à offrir, mais il aura retenu ici ses présents le temps de son introduction pour ne nous adresser que quelques modestes émoluments de ce qui constitue en principe son génie créatif. N’espérez pas ici lire une œuvre foncièrement qualitative d’un bout à l’autre, ni même une qui cherche à l’être. La désinvolture, dans l’écriture comme le dessin, en est si criante qu’elle en devient même obscène – nonobstant l’obscénité avérée propre au guro.
Ni pertinent, ni impertinent, Une Collision Accidentelle sur le Chemin de l’École vise d’abord à côté sans même qu’on sache où le tir aurait de toute manière pu faire mouche.
« Boum » a alors fait ma lecture Une Collision Accidentelle sur le Chemin de l’École.
Tout cela, j’aurais pu vous l’écrire passées les vingt premières planches dont le contenu présumait du pire. Mais, particulièrement anarchique dans la disposition de sa narration, entre la première et la quatrième de couverture, Kago vous surprend comme le ferait un fou pris de spasmes meurtriers entre deux fous rires déments. L’humour noir, mieux brossé sur des histoires allant au-delà d’une simple page, y est plus parlant, plus mordant, même. C’est violent et cruel, assez pour vous faire vous esclaffer devant les outrances sanglantes et farouchement grotesques sorties d’un esprit azimuté dont on aimerait qu’il soit contagieux.
Une œuvre de Shintaro Kago s’accepte comme un insidieux détecteur de psychopathes à placer sous les yeux ses amis. S’ils rient, c’est qu’ils en sont atteints, et sévèrement. Ah mes aïeux, j’ai encore des crampes aux joues à force de m’en délecter. Les gags sont si subits et spontanés au milieu des élans créatifs que la lecture a sur vous des effets euphoriques. Shintaro Kago, dans ses œuvres, supplante la chimie douteuse des laboratoires clandestins en vous offrant une expérience plus stimulante que n’importe quelle drogue.
Qu’on ne s’y trompe pas, ce n’est pas l’œuvre d’un fou avec de la suite dans les idées. Si vous voulez de la nouveauté dans le manga, un paneling qui sort des murs (l’histoire de la mangaka, ou de Gouttièreville sont à ce propos somptueuses), des paris esthétiques osés et inenvisageables ailleurs ; Shintaro Kago est la voie à suivre. Même ceux qui tiennent le guro en horreur, et j’en suis, y trouveront largement de quoi contenter des appétits de création trop longtemps restés inassouvis dans le milieu du manga. Je ne sais trop qui de lui ou Junji Ito se sera inspiré de l’autre pour ses dessins, mais il va de soi que Kazuo Umezu a laissé derrière lui une postérité glorieuse.
Que d’idées fleurissent en un si court volume dont on lira trop vite les chroniques sans jamais avoir l’impression de les avoir appréciées à leur juste valeur. En dépit du sexe facile – mais jamais gratuit – et de l’atrocité des mutilations tombant néanmoins toujours à propos, les mangas de Shintaro Kago, dont celui-ci sera la vitrine pour cette fois, sont en réalité des trésors d’intelligence conceptuels mêlés à d’exquises subtilités. Qui, sinon lui, aurait pu pondre et mettre en scène l’histoire des mémoires mélangées ? Une seule histoire de son cru, et c’est un cas d’école qui se profile, un qui s’avère chaque fois franchement instructif autant que récréatif pour peu que vous ayez, comme moi, quelques appétits morbides.
C’est cynique à souhait, sadique à outrance, pince-sans-rire au milieu du carnage, inventif, admirablement bien dessiné quand vient l’heure de rétribuer l’abjection : moi, plus encore que nul autre, serais foutrement mal avisé d’exprimer la moindre réserve à l’intention d’une œuvre d’humour noir taillée autour de mes proportions affectives.
Si la note ne va pas au-delà de celle que je je lui accorde, c’est car un recueil de petites histoires compilées en un volume seulement ne peut guère prétendre à plus selon mes standards. Surtout avec un pareil faux départ que fut le sien. Aussi parle-t-on d’un manga que je note sur sept. Dans la catégorie des mangas courts à découvrir, Une Collision Accidentelle Sur le Chemin de l’École peut-elle Donner Lieu à un Baiser ? est à placer de très loin en tête et ce, nonobstant l’immaturité ambiante et un sous-propos politique parfois orienté à bâbord. Ça peut ne pas plaire, car la sensibilité, quand on s’éprouve à une telle lecture, peut se manifester chez les individus sains d’esprit ; mais c’est à connaître impérativement. Qui recherche un élan de création intense sera un jour ou l’autre amené à effeuiller les œuvres de Shintaro Kago. Celle-ci en priorité, de préférence.