« Fort Wheeling » est une pièce maîtresse de l’œuvre d'Hugo Pratt. Pour tout dire, c'est l'un de ses plus grands récits, des plus amples et des plus complexes. C'est aussi un sommet graphique, pour la majeure partie dessiné selon sa façon la plus classique, des années 60, avant les débuts de Corto Maltese. « Wheeling » voit se nouer et se dénouer la trame des amitiés, sur fond de guerres amérindiennes et d'indépendance entre Britanniques et Américains. Condensant le bruit et la fureur de la conquête de l'Amérique, faisant état des atrocités de part et d'autres, commises tantôt par les colons, tantôt par les Indiens, « Wheeling » est aussi et avant tout un vibrant plaidoyer pour la paix. Les vrais héros de ce récit prônent l'amitié entre les peuples et la compréhension mutuelle, dans un respect qui devrait être éternel, même s'il est, hélas, utopique… De malentendus en malentendus, d'outrages en haches de guerres déterrées, c'est une effroyable machine qui se met en marche : la guerre. Détruisant tout sur son passage : les vies, les familles, les amitiés, l'honneur, la paix… Pourtant dans ce marasme surnagent quelques individus : certains sont un peu fous et cherchent à se venger sans savoir s'arrêter, ivres de douleur. D'autres sont tout aussi fous (du moins le croit-on) : ils rêvent d'un avenir joyeux, apaisé. C'est notamment le cas de Criss Kenton, le jeune héros de « Fort Wheeling », patriote à la recherche de sa belle, balloté par les évènements au gré des flots de l'histoire. Son courage et sa ténacité viendront à bout de bien des péripéties, et c'est lui qui porte sur ses jeunes épaules la plus grande part d'humanité de ce récit, qui bien que terrible et sombre se révèle à de nombreux moments très émouvant. Une histoire massive, servie par un beau crayonné : nous ne sommes pas loin du chef-d’œuvre. Mais, car il y a un mais, c'est sans compter sur la fin abrupte et tristement décevante. Écrit et dessiné pour l'essentiel dans les années 60 et 70, « Wheeling » est à 90% un chef-d’œuvre digne de ce nom. Mais la toute fin, réalisée dans les années 90, à la fin de la vie et de l’œuvre de Pratt est horrible. Pratt s'englue dans ses défauts du moment : des personnages grossiers et une vulgarité crasse des plus décevantes… Comme dans les derniers Corto Maltese ou « Cato Zoulou ». Il détruit méticuleusement ses héros dans un geste nihiliste qui dénote avec la beauté de « Wheeling » et de ses personnages humains, magnifiquement humains. C'est assez incompréhensible… D'autant que le style graphique, lui, épuré à l'extrême, se libère et brille par son originalité et son éclat… Quel dommage ! « Fort Wheeling » Tome 1 compte donc parmi les 4 ou 5 meilleurs albums de Pratt. Le Tome 2 (surtout la fin) parmi les 4 ou 5… pires.


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ArthurDebussy
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le 20 août 2015

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Arthur Debussy

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