Retrouver la même équipe que Skyfall, sans nul doute le meilleur film que la franchise James Bond ait connu depuis ses débuts, quasiment au grand complet pour ce tout nouvel épisode, il n’y avait pas plus alléchant en cette année 2015 dans l’univers des blockbusters (si ce n’est un certain Star Wars VII). Une attente véritablement insoutenable qui se termine… sur une déception. Est-ce le fait d’en avoir espéré beaucoup trop, notamment avec un opus qui avait mis la barre aussi haute ? Sans doute ! Mais le résultat est malheureusement là, malgré des qualités évidentes et des trouvailles géniales vis-à-vis du statut de reboot engendré par Casino Royale.
Si l’on devait trouver un fautif dans l’histoire, cela serait la production du film. Il est vrai que c’est devenu facile de nos jours d’accuser les financiers d’un long-métrage d’avoir un certain manque de goût et de ne penser qu’aux profits d’un projet. D’autant plus que là, le réalisateur Sam Mendes, qui ne voulait pas revenir derrière la caméra pour se concentrer sur le théâtre, avait réussi à trouver un compromis avec les producteurs (repousser le film d’un an). Mais il faut tout de même admettre que ces derniers l’ont en quelque sorte poussé à faire ce film contre son gré. Et cela se voit sur bien des niveaux, Mendes n’ayant pas eu la même ambition ni la même passion que sur Skyfall au point d’en livrer une version plus grossière.
Le premier à être touché par cela, c’est le scénario. Reprenant le fil conducteur établi par Casino Royale, le script de Spectre s’amuse comme son prédécesseur à confronter le James Bond de l’ancienne et de la nouvelle école, cette fois-ci de manière encore plus explicite qu’auparavant. Et pour cause, l’intrigue reprend sans pudeur la construction narrative classique à un James Bond (gun barrel, séquence d’action en introduction, générique en chanson, découverte de la mission, un second couteau style Requin à affronter, une scène dans le repère de l’antagoniste, l’humour prononcé du héros, de l’action parfois absurde…) ainsi que des éléments incontournables de la franchise dans son intégralité (à nouveau l’Aston Martin DB5, l’organisation SPECTRE…) tout en restant sur les acquis des films avec Daniel Craig, à savoir l’humanisation du personnage, le manque de gadgets, une ambiance plutôt sombre et des personnages secondaires bien plus sur le devant de la scène (M, Q et Moneypenny). Sans compter que pour donner du corps à cette « nouvelle » franchise, le scénario tisse des liens entre les protagonistes et les événements passés des autres films. Une entreprise des plus captivantes qui, hélas, ne parvient pas à attirer pleinement notre attention ici. La faute principalement à de bonnes idées sous-développées (en ce qui concerne le personnage joué par Christoph Waltz), des séquences qui s’enchaînent bizarrement pour ne pas dire de manière grotesque (le face-à-face Daniel Craig/Monica Bellucci) et des invraisemblances bien trop hollywoodienne pour passer inaperçues (Bond dégommant des mecs sans mal alors qu’il vient d’être torturé au point de ne plus tenir debout). C’est par moment longuet, drôle alors que ce n’était pas la réaction souhaitée et surtout un peu brouillon dans l’ensemble.
Après vient le casting qui, il faut bien le dire, se révèle être bien en-dessous des espérances. Si Daniel Craig n’a plus rien à prouver sur sa façon d’aborder le personnage de Bond, il est heureux de voir que les autres comédiens faisant partie de la « bande du MI6 » (Ralph Fiennes, Ben Whishaw et la délicieuse Naomie Harris) s’en sortent avec les honneurs en se délectant de répondre présents à cette aventure. Tout comme l’un des acteurs secondaires de Spectre, Andrew Scott (le Moriarty de la série Sherlock), dont chacune des apparitions est un régal d’interprétation. Et surtout, une mention spéciale à Dave Bautista (Drax dans Les Gardiens de la Galaxie), au charisme insoupçonné, parvenant à faire de Hinx l’un des antagonistes secondaires les plus marquants de la saga. Malheureusement, il n’en va pas de même pour les autres. À commencer par Christoph Waltz qui, même s’il joue toujours aussi bien, n’arrive pas à trouver l’aura dont son rôle avait besoin pour faire oublier Javier Bardem. Une petite déception qui se ressent également avec Léa Seydoux, la Française ne crevant aucunement l’écran. Quant à Monica Bellucci, il n’y a pas plus anecdotique que sa présence dans ce film, c’est pour dire ! Une distribution inégale, donc, pour notre plus grand regret.
Et enfin, autre aspect de Spectre à subir les conséquences de tout cela, le tournage et la post-production. Si le film nous gratifie de séquences d’action rondement menées, au timing quasi parfait et bien détonantes (servies par des effets spéciaux de très bonne facture), il doit cependant passer par quelques effets de mise en scène maladroits. Comme des plans n’ayant pas la beauté visuelle de Skyfall, que ce soit la photographie (Roger Deakins remplacé par le pourtant excellent Hoyte Van Hoytema) ou bien les jeux de lumière, et qui du coup ne propose pas la même puissance que ce dernier et se perdant dans la simplicité la plus outrancière (le final où Bond doit choisir entre son statut d’espion et une vie normale). Ou bien une scène d’ouverture en plan-séquence certes ingénieuse mais qui a bien du mal accrocher le spectateur à cause de sa durée un brin longuette. Sans parler de cet humour bien plus présent dans cet opus, qui n’est vraiment pas désagréable voire même bienvenu mais qui enlève toute cette noirceur et cette complexité instaurées par Skyfall et qui auraient sied à merveille à ce Spectre, étant donné les enjeux scénaristiques. Reste une mise en scène élaborée malgré quelques faiblesses et une bande son au petit oignons (la chanson de Sam Smith est un délice pour les oreilles).
À ne pas s’y méprendre, Spectre est un très bon James Bond et ce malgré les défauts relevés par cette critique. En effet, il s’agit d’un divertissement très efficace qui donne envie d’avoir une suite, qui saura conclure cette franchise avec Craig (si le comédien accepte de revenir une dernière fois) de bien belle manière avant de passer à autre chose. Mais passant après Skyfall, Spectre n’évite pas la comparaison et ne lui parvient aucunement à la cheville à cause d’un résultat en demi-teinte qui en décevra plus d’un. C’est bien au-dessus de Quantum of Solace. De Casino Royale, par contre, j’hésite encore en écrivant ces lignes. Mais bon, Bond will return !