1001 Pattes
6.7
1001 Pattes

Long-métrage d'animation de John Lasseter et Andrew Stanton (1998)

Aussi loin que je me souvienne, ma première expérience avec Pixar n’a pas commencé avec Toy Story. Non, à ce moment là, j’avais bien évidemment été hypnotisé par les bandes-annonces du tout premier film d’animation en image de synthèses tant elles tranchaient totalement avec le style visuel en 2D auquel on était habitué avec les productions de Walt Disney Feature Animation, Fox Animation Studios, au studio d’animation de la Warner et j’en passe.


Sauf que la première VHS Pixar que j’ai eu en cadeau, de ma petite taille de marmot, fut ce qui n’avait rien à voir avec une histoire de jouet et qui nous montrait cette colonie de fourmis ouvrières, travailler en file indienne et récolter la nourriture de leur petite île pour leur survie et celle d’infâmes sauterelles digne d’être qualifié de bikers insectoïdes.


Cela a déjà été rapporté mais contrairement à ce que veut la croyance chez pas mal de gens, 1001 pattes (Bug’s Life en VO) n’a rien d’un Pixar mal aimé ou même détesté. Mais comme si le karma avait décidé de lui jouer un mauvais tour, Toy Story est revenu à la charge avec son deuxième volet et ce succès ainsi que la réputation fortement acquise du premier ont vite fait de réduire l’impact et l’intérêt des fans comme du public du deuxième film d’animation de Pixar. Autant dire que tu te sens tout petit quand deux des films les plus prolifiques d’un même studio t’éclipsent, et que ça n’est pas toujours facile d’exister en conséquence. Surtout avec l’enchaînement de film du studio qui ont suscité chacun l’engouement du public pendant un temps après cela.


Donc, en tant que fan de la première heure de 1001 pattes que j’avais laissé de côté depuis un moment, c’est parti pour lui rendre justice et tenter de lui redonner une place de choix au sein d’une filmographie d’animation déjà très magnifiée.


La première chose qui fait mouche quand on voit 1001 pattes : l’échelle. Dés le moment ou la caméra avance lentement sur l’îlot et dévoile la première fourmi escaladant la tige pour récupérer une graine, Lasseter et Stanton ont vite fait de se mettre au niveau de cette colonie face à l’immensité de la nature et de la monotonie de leurs tâches. Et il faut rendre à César ce qui est à César sur le plan visuel tant l’animation ne semble pas avoir pris beaucoup de ride en plus de 20 ans : j’aime les textures de ces fourmis qui font toujours très crédibles (plus que dans le très sympathique Fourmiz chez Dreamworks), j’aime ces granules de terres unis qui forment un tout, j’aime la texture presque limpide de ces groseilles mauve bien mûre ainsi que ces feuilles et plantes à la texture translucide, et surtout j’aime les déplacements des personnages qui ont gagné en fluidité et en crédibilité en comparaison des jouets de la bande à Woody dans le tout premier Toy Story.


En dehors de cette gestion de l’espace, du mouvement et du point de vue, c’est également sur le temps d’apparition et le nombre de détail à l’écran qu’il y a eu un énorme travail de la part des animateurs. Exemple parmi d'autres, les plans montrant les fourmis en très grand nombre ne sont pas si nombreux, ils jouent soit avec la profondeur de l’image, soit avec les décors intérieurs pour suggérer l’immensité de la colonie mais en dehors de quelques occasions spécifiques et justifiés comme la fiesta au sein de la colonie plus tard ou la salle principale de la fourmilière, il y a une excellente gestion entre ce que l’on peut montrer et ce qui doit être suggérer pour conserver une cohérence visuelle et narrative. Sans parler de la représentation de la ville dont l’activité non-stop tranche complètement avec la monotonie de la colonie des fourmis.


Cette cohérence visuelle et narrative se poursuit tout autant dans la micro société que représente cette fourmilière, équivalent à un minuscule pays modeste voire un village capable de montrer une image bien loin d’être cantonné à celle de minuscules travailleurs redondant, et une hospitalité sincère qui rend cette communauté que plus attachante. Comme l’accueil réservé à la troupe du cirque entre prestation musicale et pièce de théâtre qui ne semble pas si improvisé (d’ailleurs le film a l’intelligence de ne jamais expliquer combien de temps se déroule entre telle et telle transition pour conserver un impact narratif solide), ou encore une compagnie enfantine plaisante pour un souffrant.


Tout le contraire de l’invasion surprise des sauterelles qui met en avant la principale menace, et surtout un antagoniste qui me calmait déjà tout minot, le Borgne. Leader sec et imposant parfois limite sadique et montré comme un dominant capable de susciter une immense terreur chez les assiégés : poussant les fourmis à se pousser pour faire place lors de ses déplacements et ayant la grosse avantage de bénéficier de la voix rauque et implacable de Kevin Spacey en VO et de la performance en VF de l’excellent Dominique Collignon-Maurin tout aussi intimidant et costaud.


Par ailleurs, la réaction extrêmement apeurée des fourmis faces à des sauterelles clairement moins nombreuses trahit une immense absence de dignité et d’orgueil chez cette colonie dont tire pleinement profit le gang. Au point que chacune de ces fourmis raisonne en tant qu’individu qui fait sa part au sein de la colonie, mais pas en tant que communauté pourtant supérieur par la force du nombre. Et pour éviter que cette réflexion tombe trop facilement dans la tête du spectateur, Lasseter et Stanton joue énormément sur l’éclairage qui devient une menace à chaque rayon de soleil pénétrant brutalement dans leur antre, et sur la domination de son bad guy principal au cœur de l’image lors de l’assaut contre la fourmilière avec un long silence avant qu’il ne prenne la parole. Et au-delà de la quête de son héros, Tilt, de prouver qu’il est bien plus qu’un inventeur excentrique à gaffe ambulant, 1001 pattes va surtout raconter comment la colonie va regagner sa fierté et avoir une prise de conscience collective une fois leur force unie.


Et c’est là que la troupe du cirque intervient : un groupe d’insecte artiste raté qui se révèlent être les principales stars du film. Mené par le trio de tête Marcel/Heimlich/Fil, chacun se distingue au sein de la troupe à sa façon que ça soit en termes d’humour (Qui n’a pas rit à en tomber par terre quand on a découvert que notre coccinelle était un mec ? Sans parler des bouffonneries dosées de Chivap et Chichi ou du fiasco final du dernier numéro du cirque ? De l’accent germanique d’Heimlich ?), sur leur situation professionnelle au point mort, leurs échecs répétés ou sur leur très bonne alchimie de groupe qui les rend aussi identifiable que mémorable.


Y compris dans les moments d’adversité ou de danger, chacun y mettant du sien d’une façon ou d’une autre notamment pendant la construction du faux oiseau avec la participation de chacun. Il ne serait pas surprenant qu’il y ait eu une influence très notable des 7 mercenaires de John Sturges, entre le partage des ressources des fourmis avec la fausse troupe de mercenaire, l’union entre les habitants et les nouveaux venus contre une menace commune, et l’attachement que retire la troupe au contact de Tilt et du reste de la colonie. Mais avec suffisamment de recul pour qu’on ait le regard focalisé autre part et ne pas partir sur ce rapprochement en continu bien qu’assez évident avec du recul.


Pour éviter de partir sur une atmosphère trop solennelle ou excessivement sérieuse, la musique tantôt jazzy tantôt bon enfant mais très inspiré de Randy Newman contribue énormément à apporter pas mal de lueurs solaires à un récit ou la forme trouve un très bon équilibre entre les enjeux de chacun et la comédie chez Pixar très inventive encore une fois. Tandis que le fond ne pâtit jamais des touches comiques tant sur le plan visuel que sur les répliques ou les situations, et pas mal de ces morceaux sont mémorables ne serait-ce que le thème d’ouverture qui trotte encore dans ma caboche depuis le premier visionnage.


Là où on peut formuler un premier reproche assez solide, par contre, ça serait avec son héros Tilt. Loin d’être fade comme un certain Arlo et encore moins une tête à claque comme Martin dans Cars 2, Tilt a quand même du mal à dépasser son statut d’inventeur de talent à la maladresse destructrice et contrairement à la troupe du cirque qui apporte une vraie dynamique et ou on sent qu’elle contribue à souder et à redonner confiance en la colonie, il paraît plus fonctionnelle et classique dans son écriture. Même sa romance avec la princesse Atta, bien qu’elle soit pertinente avec l’objectif commun de chacun (à savoir surpasser les préjugés et les jugements précoces dont ils sont l’objet pour guider leur peuple), n’arrive pas à me toucher ou à m’atteindre puisqu’elle souffre du même souci sur ce plan.


Alors que son rôle de futur reine de la colonie avec les attentes immenses qui pèsent sur ses épaules devraient nous intéresser, Atta n’a pas l’occasion de montrer une forme d’affection ou d’attachement réelle et démonstratif envers sa colonie ou sa famille (ne serait-ce qu’avec sa mère ou Couette) alors que ça aurait été un plus nécessaire pour contrebalancer un peu avec sa méfiance et ses préjugés très sévères à l’égard de Tilt durant la première moitié. Alors qu’ils sont censés être des pivots et trouver l’inspiration par cette cohabitation avec la troupe de cirque déguisée en mercenaire.


Après pour revenir à Tilt, je ne saurais dire si sa version initiale aurait été plus convaincante : c’était à la base une fourmi rouge présentatrice au sein d’un cirque, qui n'avait rien à voir avec la colonie, qui tentait de trouver du travail pour ses compagnons après avoir été licencié, et rencontrait deux fourmis de la colonie parti chercher de l’aide. Sauf qu’il s’effaçait trop facilement avec ce premier jet et que le récit aurait pu se faire sans lui, et que ses intentions de départ étaient réellement malhonnête avant de s'attacher à la colonie.


D’ailleurs les quelques poncifs en terme de scénario viendront souvent de ce qui entoure Tilt, comme le fameux coup du menteur dévoilé même si ce point est traité de façon bien moins grotesque et lourdingue qu’autre part étant donné que ça n’est pas le sujet central. Cela dit, Tilt est sauvé par quelques points non négligeables comme sa relation amicale avec Couette/Dot, la dernière de la famille royale souffrant elle aussi d’un manque de reconnaissance par ses pairs.


Mais aussi, et surtout, par un moment de bravoure qui est peut être à mes yeux la meilleure scène du film : son face à face contre le Borgne. Bien que sa participation à l’union des fourmis se sente moins qu’avec la troupe du cirque, Tilt affiche la confiance qui manquait à son peuple et provoque définitivement cette prise de conscience. En confrontant le Borgne avec une réalité qu’il a lui-même dicté à ses semblables, les sauterelles étant incapable de cultiver la terre et de se nourrir autrement que par le pillage et en manipulant leurs proies (l’inspiration sur Les 7 Samouraïs/7 Mercenaires se ressent sur cet aspect sans être encombrant) tandis que les fourmis, métaphorisé comme un peuple autochtone ayant appris cela depuis des générations, ont prouvé leur supériorité une fois soudés et n’avaient besoin que d’une dernière tape de main dans le dos pour s’affirmer et regagner leur indépendance.


Et si on veut vraiment pinailler pour trouver de quoi faire des reproches à 1001 pattes, il y a une entrave qui se fait parfois sentir avec la traduction française dans les jeux de mots et autres calembours du monde des insectes. Rien de véritablement catastrophique et encore moins irrespectueux, mais ça se voit ici que l’équipe chargée de la traduction en a quelques fois un peu chié pour rendre fluide et percutant quelques jeux de mots.


Mais rien de bien méchant, surtout quand on voit la gueule du casting français impeccable à l’époque ou le Star-Talent était beaucoup moins omniprésent sur le marché occidentale de l’animation : Thierry Wermuth (notre Tintin national des 90’s) a de l’énergie à revendre et interprète Tilt avec une très bonne nuance pour ne jamais caricaturer sa personnalité, Collignon-Maurin (qui est bien trop peu présent à l’heure actuelle) est irréprochable pour le Borgne, et le reste des comédiens de doublage est entièrement constitué de gens d’expérience qui ont grandement fait leur preuve comme les regrettés Patrick Poivey, Perrette Pradier (qui se rapproche du mieux possible du jeu de Phyllis Diller en VO sans tomber dans l’imitation facile) et Marc Alfos, et les autres comme Bernard Alane, Barbara Tissier, Henri Guybet, Frédérique Tirmont ou encore Eric Metayer.


Le temps et sa sortie entre deux Toy Story l’auront pas mal éclipsé aux yeux des spectateurs (de manière logique j’ai envie de dire, ce qui est plutôt triste), ce qui ne l’empêchera pas d’être à la fois succès critique et commercial en rapportant entre 4 à 5 fois son budget de 45 millions de $ sur le sol américain. Mais il mérite qu’on s’en rappelle tant pour le bond technologique entre deux films que comme preuve des talents de conteurs de Pixar pour nous engager corps et âme dans des univers infiniment plus proche de nous que l’on ne se l’imagine.
Si il n’atteint pas le pic émotionnel d’un Là-haut ou d'un Vice-Versa, et ni la tendresse d’un Coco ou la nostalgie bienveillante des derniers Toy Story, 1001 pattes aura toujours une place d’exception à mes yeux. Peut-être pas une pépite cinématographique mais définitivement bien plus qu’un outsider et surement pas un film mineur pour les pères fondateurs des studios.

Créée

le 10 déc. 2020

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