Avant de voir 1900, j’étais curieux de voir comment le Bertolucci que je connais (Le dernier Tango à Paris, Dreamers) allait concilier son approche personnelle à la vaste fresque épique et historique de son sujet. Son film conjugue précisément les deux tendances de façon assez intrigante : académique et décalé, classique et symboliste ; en résulte un objet hybride tour à tour flamboyant, irritant, émouvant ou caricatural, mais toujours maitrisé formellement.
La première partie du film, sur l’enfance, est l’une des plus belles. La brutalité du monde des adultes, qui meurent un à un, s’accompagne de l’éveil de la jeunesse, entre danse et sexualité frémissante. Le monde paysan, chargé d’un bestiaire aussi imposant que les très nombreux figurants, se déploie dans un décor magnifié par une photographié sublime, en autant de tableaux d’une composition et d’une lumière impeccables. Monde grotesque, monde fracturé socialement, sur le modèle féodal, où les bouffons bossus courent derrière le Padrone des lieux, dans une course effrénée pour célébrer les naissances simultanées du dernier petit-fils de la lignée et du dernier bâtard des employés.
Les scènes de repas, de travail aux champs sont un hommage supplémentaire de Bertolucci à la peinture : on retrouve Bruegel, voire le réalisme socialiste dans un grand nombre de séquences.
Les protagonistes, lors de leur passage à l’âge adulte, vont rentrer dans un film de Bertolucci. Sexe cru, comportement énigmatique, violence et incommunicabilité, on aime ou pas ce traitement, mais il surprend un peu au sein d’un tel projet. La développement politique et la scission entre les extrêmes, communisme et fascisme, va lui occasionner un grand écart de choix narratifs et esthétiques. Le sublime, tout d’abord : la résistance à l’expropriation tri partite (les paysans, la garde, les propriétaires chassant le canard) le retour d’Olmo de la guerre face à sa mère, au bout de la courroie d’une machine agricole, symbole du progrès, la scène d’ouverture, reprise 5 heures plus tard, de la femme sur sa meule, véritable coryphée de la fin légendaire et mythologique de la guerre.
Le grossier, ensuite : le personnage d’Attila, méchant fasciste qui tue chaton, enfant et veuve, l’absence de recul sur le discours communiste et la naïveté de la représentation de l’enthousiasme débordant qu’il suscite.
Une possibilité de sauver ces excès serait de prendre le film pour ce qu’il devient de plus en plus, et qui relève de l’évidence sur sa longue scène finale : un opéra. Les scènes collectives sont clairement chorégraphiées et le réalisme, l’ambiguïté sont abandonnés au profit d’un schématisme et un chant très proche de la comédie musicale. C’est un choix intéressant, esthétiquement notamment, dans le mouvement des foules et le motif du drapeau rouge devenue gigantesque. En ce qui me concerne, ce traitement brise un peu l’identification et l’illusion narrative, imposant un recul dont je me serais volontiers passé pour m’immerger pleinement dans la destinée des personnages.