Un film de Claire Denis est souvent (toujours...?) du beau travail, et « 35 rhums » est de cette veine. Histoire de filiation et du quotidien d'un petit groupe de personnes entre le nord de Paris et la banlieue, rythmé par le RER et des prises de vue magnifiques, images de cet au-delà du périphérique.

Conducteur à la RATP Lionel, un Antillais à Paris élève sa fille Joséphine dont la mère, une Allemande, est décédée et enterrée dans son pays (une visite pour se recueillir sur la tombe de sa mère permet une séquence singulière avec Ingrid Caven). Autour de la famille il y a Gabrielle, une créole, voisine et chauffeur de taxi et Noé, jeune homme amoureux-et-en-attente de Joséphine. Il vit au dernier étage, avec son chat et cherche sa voie.

Histoire banale du quotidien d'une famille et de son premier cercle, une fille étudiante en fac, attentive à son père et un père soucieux du devenir de sa fille et surtout qu'elle «ne sacrifie pas sa vie pour lui».

C'est de ce lieu et avec ce regard partiel que nous allons suivre l'évolution de ce «couple» et du dénouement d'un projet de vie, sur lequel se termine le film peut-être d'une façon trop abrupte mais c'est là le rituel des «35 rhums » qu'un père se doit de boire pour le mariage de sa fille.

C'est un père très économe en paroles mais qui a su lui exprimer le mot juste pour qu'elle s'engage dans sa propre vie et se libère de la «corvée» de subvenir aux besoins et habitudes d'un père seul : les chaussons lorsqu'il rentre, le repas préparé, les chemises repassées … Ce sont ses mots qui l'autorisent à s'émanciper, se libérer de cette «obligation», ces mots qui manquent souvent aux parents pour permettre à leurs enfants de grandir.

C 'est cette même économie que Claire Denis utilise tout le long du film construit par les regards, les gestes, les silences de ces personnages qui rendent ce film fort en émotions.

Un montage respectueux de la singularité de chacun, avec des acteurs à la hauteur et une mention spéciale pour l'interprétation faite de discrétion et de présence de Alex Descas, qui joue Lionel.

Un film qui nous donne à penser plus que ce qu'il nous dit, cette solidarité active entre Lionel et René, parti à la retraite, mais qui n'évite pas la tragédie. Cette rencontre plurielle, multi-culturelle qui n'ouvre pas -ou presque- à d'autres que les français des Antilles. Cette forte relation père-fille faite de complicité, de partage et de libération.

Ma voisine au cinéma, à la fin du film disait ironiquement, «la prochaine fois ce seront les Antillais de la Poste». Pourquoi pas, mais qu'elle chance de voir au cinéma ceux qu'on croise mais qu'on regarde si peu.
http://blogs.mediapart.fr/blog/arthur-porto/010309/les-35-rhums-d-un-rituel
ArthurPorto
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le 30 oct. 2013

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