Je ne suis pas un adepte des sites et encore moins de la presse people sur laquelle je pose tout au plus un regard torve pour tromper l'ennui dans une salle d'attente d'un quelconque cabinet médical. Je n'ai jamais ressenti non plus le moindre besoin de me plonger avec délectation dans les images des obsèques des célébrités même quand ce sont des gens j'admirais beaucoup. Je n'ai pas le voyeurisme pleurnichard et je laisse bien volontiers les gens tout entier à leurs peines quand bien même je la partage un petit peu, de manière anonyme et de très loin. C'est donc presque par hasard que je suis tombé sur une photo de Jean Hugues Anglade et Béatrice Dalle se soutenant mutuellement aux obsèques de Jean Jacques Beineix, celui la même qui 35 ans plus tôt les avait révélés au grand public de manières flamboyante avec 37°2 Le Matin. La mine grave dans leurs manteaux de deuil et sous le ciel encore morne et gris d'un hiver parisien Zorg et Betty avaient dans leurs yeux cette tendre tristesse infinie de ceux qui viennent de dire adieu à un vieil ami et peut être à tout un pan de leur jeunesse. De l'incandescente flamme d'une passion ne reste alors que le visage glaciale de la mort qui rattrape les amants brûlants d'hier au sinistre trépas d'aujourd'hui.


Je me suis souvenu alors du sourire irradiant de Betty, de sa force et de sa liberté, de sa folie, de cette impudeur d'une jeunesse exaltée et sauvage qui semblait hurler fuck off à celles et ceux qui ne supportaient pas de la voir vivre si belle et si rebelle à la fois, de cette fragilité de porcelaine qui accompagne celles qui poursuivent une quête d'un inaccessible bonheur jusqu'à y perdre la raison. Je me suis souvenu de Zorg , de ce sourire timide qui s'excusait presque d'être là, de cette indolente nonchalance dans le fracas tumultueux des tempêtes et des passion, de cette manière de vivre à la fois marginal et libre, de ce mec tranquille et paumé entre ces foutues mauvaises nouvelles apportées par les vent du nord comme celui du sud n'espérant plus rien de la vie qu'une petite bulle d'oisiveté paisible et d'amour absolue hors du monde comme ce plateau de l'Aubrac baigné de lumière. Je me suis souvenu de Zorg et Betty de cette rencontre du feu et de la glace, ce cette union entre celle qui voulait tout bouffer et celui qui n'espérait déjà plus rien, de cet amour qui se foutait de tout avec l'innocence un brin provocatrice de toute sa jeunesse et qui ne voulait rien de plus que se consumer d'un brasier ardent fait de passion , de chair, d'amour, de complicité, de rires, de tendresse, d'ivresse et de baise.


Je me suis souvenu de cette lumière si belle de Jean-François Robin et bien plus solaire que ce foutue ciel d'hiver plombé et plombant, de ses couleurs chaudes comme les braises d'un soleil rougeoyant au coucher, de ces teintes d'ocre et de bleu métallique et de ses putains de bungalows roses et bleus posés sur une plage à l'allure improbable de western. Je me suis souvenu pour faire la nique aux silences assourdissants de la mort de la musique de Gabriel Yared , du vieux Georges qui jouait du saxophone sur la plage, de la ritournelle des maudits manèges, de l'air inquiétant du petit Nicolas prophétique de la folie à venir et surtout de ses quelques notes de piano improvisées dans une touchante complicité par Zorg et Betty lors d'une veillée funèbre . Je n'ai pas pu m'empêcher d'imaginer que dans un coin de la tête de Jean Hugues et Béatrice tournait peut être en ce gloomy thrusday cette mélodie si douce et mélancolique. Je me suis souvenu aussi pour conjurer le sort et comme il est coutume de le faire lorsque quelqu'un s'en va, des bons moments, des sourires et des fous rires partagés ; je me suis remémoré avec ce sourire un peu triste propre à la mélancolie du canapé récalcitrant qui refuse de s'ouvrir, de la cravate d'Eddy et de sa montre qui joue la marche nuptiale, de cet improbable représentant d'olives passablement bourré, de la douce et chaude Annie en mal de tendresse et d'amour ou de ce jeune gendarme zélé se roulant par terre flingue en main ou chantant du Yves Duteil en faisant au revoir de la main. Je me suis souvenu par brides éparses d'un inventaire chaotique composé d'une Mercedes jaune, de la robe rouge sang de Betty, des tequilas rapido , d'une pizza poubelle, d'un ponton face à la mer sur lequel on voudrait se perdre, d'un gamin accroché à un porte manteau, d'un chat blanc, des larmes de Zorg, de la moue boudeuse de Betty et de ce volcan bouillonnant de vie, d'amour, d'énergie et de sensualité sanglé muet et inerte sur un lit d'hôpital. Je me suis souvenu de ce dimanche d'été 1986 dans une petite salle de cinéma lorsque je suis tombé amoureux fou de 37°2 le Matin (et de Béatrice Dalle) dont j'étais ressorti totalement lessivé par l'émotion. Je me suis souvenu de l'affiche magnifique dans ma chambre d'adolescent, du 33 tours de la musique de Gabriel Yared qui tournait en boucle, de ma colère puérile lorsque aux césars les neuf nominations aboutirent à une seule récompense dérisoire aujourd'hui disparue (Meilleure affiche).


Je me suis souvenu mais j'ai tout de même éprouvé ce besoin étrange de revoir, comme lorsque après un adieu on ressort les vieux albums de photographies avec ce sentiment que figés sur des images celles et ceux qui ne sont plus là resteront pour l'éternité. J'ai donc revu 37° le Matin dans sa version longue, la seule qui compte, pour retrouver la vie, la jeunesse, l’insouciance et la beauté d'un film qui aura marqué toute une génération par son authenticité et qui restera éternellement gravé aux cœurs et aux esprits de celles et ceux qui en sont amoureux. J'ai revu aussi le documentaire 37°2 , 20 ans Après les yeux légèrement humide et rougis par l'émotion lorsque Jean-Jacques Beineix dit : "Les histoires d'amours son éternelles, 37°2 est éternel même si moi je ne le suis pas" , j'ai eu le frisson délicieux de la nostalgie lorsque le réalisateur déclare "Nous avions tous 20 ans, même si j'en avais 36, sur le tournage nous avions tous 20 ans" , j'ai compris à l'évocation de ce tournage dans lequel les shots de tequila étaient réalisés sans trucages, dans lequel les comédiens s'étaient livrés corps et âmes jusqu'au vertige, dans lequel personne n'avait triché, dans lequel tous et toutes avaient eu le sentiment de construire un moment magique pourquoi Zorg et Betty resteront l'un des plus beau couple du cinéma français et 37°2 le Matin l'un de mes films culte.


Là tout près de l'église Saint Roch lorsque Beatrice Dalle semble caresser doucement la joue de Jean Hugues Anglade c'est presque le fantôme de Betty qui semble réconforter avec tendresse un Zorg désormais seul et fatigué. Les amants de 1986 se sont parés de noir mais 35 ans après ils sont toujours là et c'est ensemble qu'ils sont venus, sincères, sauvages, authentiques et fragiles, unis et réunis pour honorer la flamme vacillante de celui qui avait allumé la mèche de cette magnifique passion. Qu'il repose en paix selon la formule consacrée et que ses films continuent de vivre, de remuer et de nous faire croire le temps d'un instant fragile et illusoire que nous aussi on a encore et toujours l'insolence de nos vingt ans.

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le 22 janv. 2022

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Freddy K

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