On s'ennuie la nuit en province
Manger sainement, ne pas trop fumer et vous aurez le remède miracle pour ne pas rater votre vie et ne pas connaitre des désillusions qui vous hanteront jusqu’à la fin de votre vie car un infarctus est vite arrivé et c’est le drame assuré. Voici, à peu de chose près, l’une des seules pirouettes qu’on retiendra dans un mélodrame sans cœurs ni irrigation. Après un très éphémère et bien maigre Les Adieux à la Reine, Benoit Jacquot revient sur le devant de la scène avec ce trio amoureux vieillot et sans enjeux où se cache mensonges, faux semblants et coup de foudre avorté par le destin. « Pourquoi l’as-tu choisi, elle ? » dira Sylvie à Marc en pensant à sa sœur Sophie. Dans un univers socialement contextualisé,
Benoit Jacquot semble vouloir marcher sur les pas d’un cinéma romantique proche d’un Claude Sautet mais il n’en a pas l’envergure ni l’ambiguïté artistique et narrative. Ce dernier était un portraitiste audacieux et clairvoyant, arrivant à capter l’essence même des sentiments de ses personnages et la part d’ombre et de mystère de ses acteurs. Un cœur en hiver en est la preuve. Un soir, un homme rate son train dans la ville de Lyon, lui permettant dans un petit coin de rue mal éclairé, de rencontrer une jeune femme au charme un peu évanescent jonglé par sa douce voix cristalline. Marc rencontre Sylvie, c’est le coup de foudre. Un regard suffit, quelques mots pour désamorcer la timidité et le charme opère. Benoit Jacquot fait appel à Benoit Poelvoorde pour interpréter l’homme perturbé par ses entrailles, l’amoureux transi névrosé par le doute et la culpabilité.
A ce compte-là, l’acteur en fait un peu trop, avec une démarche mal assurée et un regard en coin patibulaire. Dès les premières minutes, on sent un film sur la corde raide avec cette rencontre originelle, un peu fausse et gênante où vient s’ajouter une musique, ridicule de désarticulation avec le film, vrombissante, lourde et sursignifiant une angoisse fabriqué. Marc, par la force des choses, retrouvera Sylvie car il se mariera avec Sophie, la sœur de Sylvie (sans le savoir). Les coïncidences de la vie sont au centre du sujet, de ses retrouvailles en cachette, aucune passion dévastatrice ne s’immergera de cette fracture psychologique, de cette attente insupportable.
3 cœurs est le trio amoureux aux accents redondants, le film emmitouflé dans son envie d’avancer cacher, de ne jamais se dévoiler ses mystères, pour exploser sans émouvoir où se dégage une froideur antipathique. Les deux sœurs sont les opposés symbolisant le summum d’une certaine ringardise rétro, avec celle qui est libre de ses mouvements, un peu bohème. L’autre est la femme fragile, celle qui a besoin d’une épaule, qui a les larmes faciles, qu’on aime protéger et cajoler. La maman à qui on fait un enfant et qu’on baise en missionnaire pour faire l’exercice conjugal obligatoire. Le chaud et le froid, en quelque sorte. Où Marc sera attiré par le chaud, l’aventure, le goût de l’incertitude face à la routine quotidienne. Le point d'orgue la faiblesse de 3 coeurs est cette écriture navrante de lieux communs
Avec l’œuvre de Benoit Jacquot, nous nous retrouvons en « terrain connu », avec cette assemblage de protagonistes fictifs (la mère, patriarche, jouée par Catherine Deneuve ; ou le maire, catalyseur de culpabilité morale et religieuse) dont les mises en situations balisées n’arrangent pas les choses. Le tout sent malheureusement le réchauffé ponctué de quelques moments gracieux de mise en scène (séquence de voiture intrépide entre Marc et Sylvie). La magie de 3 cœurs est tuée dans l’œuf par son manque de folie romanesque, ses fautes de goûts inexplicables (une voix off comme si l’on était dans un livre pour enfants), par son absence totale de poésie venimeuse, une platitude narrative dont ne parviennent pas à s’extirper trois acteurs un peu à la dérive. On restera sur notre faim, Benoit Jacquot préférant nous mettre à la diète.