Rarement un film avait eu une telle pub mensongère
Un budget montant jusqu’à 170 millions de dollars (ce qui est énorme) pour un démarrage aux États-Unis de seulement 10 millions de dollars (écho d’un cuisant échec commercial, qui se confirme de plus en plus au fil des semaines). Qu’a-t-il bien pu arriver à cette production Universal pour décevoir à ce point ? D’autant plus que le film nous a été vendu comme une fresque épique et agréable à regarder, une sorte de Seigneur des Anneaux à la japonaise qui devait servir de tremplin au retour de Keanu Reeves (ses derniers succès en date étant la trilogie Matrix et Constantine, c’est pour dire !). Que s’est-il passé ?
À première vue, nous pouvons véritablement nous poser la question, 47 Ronin étant un film tout simplement réussi du point de vue visuel. Les 170 millions de dollars se sentent énormément à l’écran, et cela se voit dans la plupart des apports techniques du long-métrage. Par là, il faut bien entendre qu’il est question des costumes, véritables prouesses signées Penny Rose (qui a travaillé sur les Pirates des Caraïbes). Des décors en studio, offrant par moment des plateaux de tournage démesurés. Des effets numériques vraiment jolis. De la photographie de John Mathieson, grand collaborateur de Ridley Scott. Tous ces détails qui font que 47 Ronin est un long-métrage hollywoodien très coloré et qui avait franchement de quoi offrir ! Et qui voulait nous faire partager un peu de la culture japonaise (cela se ressent par moment). Un nouveau Seigneur des Anneaux ? Nous en étions pas loin !
Le naufrage de 47 Ronin s’explique en un seul mot : production ! Et en s’intéressant un peu plus au making-of du film, tout devient explicite ! Mais avant de commencer, qu’est-ce que 47 Ronin ? Il s’agit d’une « version blockbuster » d’une légende japonaise, adaptée à la sauce fantasy par Universal. Et qui, pour cela, a nommé un « inconnu » en la personne de Carl Erik Rinsch. Et c’est là que les ennuis commencent : le réalisateur veut un film 100% asiatique, les producteurs un divertissement accessible à tous (même les plus jeunes). Du coup, le film n’a connu que des divergences artistiques et des changements soudains orchestrés par la production. Et cela se voit énormément !
À commencer par le casting ! Pourquoi vous avoir fait un paragraphe sur les différents entre réalisateur/producteurs ? Dans le but de vous parler de Keanu Reeves. Car il faut que vous sachiez qu’à la base, ni lui ni même son personnage ne faisaient partis du scénario ! Au début, 47 Ronin devait suivre nos renégats japonais dans leur quête de vengeance, avec que des acteurs asiatiques (Hiroyuki Sanada, Rinko Kikuchi, Kō Shibasaki…). Mais pour les producteurs, ce n’était pas assez vendeur. Du coup, ils y ont greffé le personnage de Keanu Reeves (pour relancer également la carrière de l’acteur), un paria devenu protagoniste principal de cette aventure. Mais son ajout est tellement visible… Pour dire, pendant tout le long du film, on se pose cette question : « mais à quoi sert-il ? ». Constat cruel mais véridique pour ce comédien qui est carrément inutile à la trame, aux autres personnages… au film ! Qui se montre perdu comme jamais (le seul Américain dans un casting japonais en dit déjà long). Le véritable héros, c’est Hiroyuki Sanada, étant le seul comédien potable de la distribution, celui à qui l’on s’attache le plus, celui dont l’enjeu se montre le plus intéressant de tous. En bref, celui qui aurait dû être en tête d’affiche !
Autre problème : le scénario. Pour une fresque épique à la Seigneur des Anneaux, avoir comme scénaristes Hossein Amini (Blanche-Neige et le Chasseur) et Chris Morgan (Wanted : Choisis ton destin, la saga Fast & Furious) pose déjà problème. Mais surtout, oser prétendre être l’équivalent d’une immense trilogie alors qu’on ne dure qu’1h48, c’est un peu nous prendre pour des imbéciles ! Car, pour être l’égal des films de Peter Jackson, il faut étaler minutieusement son univers, ses personnages, ses trames… En moins de deux heures, c’est tout bonnement impossible ! De ce fait, nous nous retrouvons avec un film aux personnages inexistants. Aux ellipses qui permettent des raccourcis maladroits. Aux séquences qui s’enchaînent sans imagination. Aux répliques affreusement creuses. Aux clichés désespérants (cette romance…). Aux incohérences indigestes (le personnage de Keanu Reeves qui n’utilisent ses pouvoirs que de manière aléatoire, ce géant de 2m30 en armure qui nous est présenté comme un surhomme et qui finalement meurt de la façon la plus débile qui soit…). Et sans oublier le remaniement qu’a subi le scénario de la part de la production ! Qui renforce le côté fouillis de l’ensemble, pour notre plus grand malheur.
D’ailleurs, ce n’était pas une si mauvaise idée d’adapter cette légende populaire à la sauce heroic fantasy. Encore faut-il l’assumer pleinement ! La bande-annonce nous promettait des monstres, de la magie. De tout cela, vous n’aurez qu’une créature qui ne ressemble à rien au début du film, et une sorcière se transformant en dragon (au corps d’anguille…). C’est tout ! On a beau nous vendre un Keanu Reeves détenant des pouvoirs, ayant été élevé par des hommes-oiseaux, mais rien de tout cela ne transparaît à l’image ! Ne revenons pas sur le scénario mais plutôt sur le rythme du film, mal dosé. Qui expliquerait cette faible quantité de fantasy, mais également l’ennui qui pointe rapidement le bout de son nez (peu de scènes d’action épiques et flamboyantes comme il a été annoncé) et un montage anarchique (des ralentis ajoutés sans raison, des effets de style qui n’ont pas lieu d’être…).
Et enfin, terminons sur l’énorme publicité mensongère qui a été faite sur ce film ! Encore une fois la mise en avant de Keanu Reeves, qui n’a clairement pas sa place ici alors qu’il est en tête d’affiche. Tout comme certains personnages, qui n’apparaissent dans le film que durant 10 secondes (le mec aux tatouages). Et surtout, où sont ces fameux 47 Ronin dont on ne nous cesse de faire l’éloge ? Nous avons juste droit à Keanu Reeves tentant de sauver sa bien-aimée et Hiroyuki Sanada en sauveur héroïque. Si vous vous attendiez à une bataille spectaculaire à la 300, c’est loupé !
Pour conclure, 47 Ronin est visuellement beau mais terriblement creux et mal emballé. Nous faisant penser à ce cadeau que l’ont attendait avec impatience et qui n’est finalement pas celui que l’on voulait, au point qu’il nous tarde de s’en débarrasser au plus vite. Et il est vraiment dommage de penser cela, tant on espérait beaucoup de ce film. Notamment en ce qui concerne Keanu Reeves, qui mérite ce retour tant attendu. Cela ne sera pas pour aujourd’hui…